« C’est en cherchant à
substituer un ordre théoriquement rationnel au long travail des siècles que
l’homme de la raison abstraite ruine ce qu’il devrait conserver et tyrannise
ceux qu’il aspire à libérer. » (Raymond Aron)
Hier,
27 septembre 2019, selon les médias, l’article du texte de bioéthique qui
permet l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de
femmes et aux femmes seules a été adopté
par l’assemblée nationale. Les résultats du vote indiquent : 55 voix « pour »,
17 voix « contre », 3 « abstentions ».
Le
présent article n’entend pas prendre position « pour » ou « contre »
ce qui vient d’être adopté par ces députés, et ce qui a été qualifié d’« innovation radicale » par l’académie
nationale de médecine. Son but est de fournir à nos lecteurs des informations
et quelques éléments de réflexion qui s’inscrivent dans l’équilibre décrit par
ledit Raymond Aron.
Nombre de députés
présents lors du vote à l’assemblée nationale : quel quorum ?
Sur un total de 577 députés,
seulement 75 étaient présents lors
du vote. C’est exactement le même
nombre de présents que nous avions relevé lors du vote de la loi
consacrant l’extension, cette fois, de l’obligation vaccinale de 3 à 11 vaccins
(lire notre article du 20 décembre 2017 intitulé : « De 3 à 11
vaccins obligatoires : lettre au Président de l’Assemblée nationale demandant
la saisine du Conseil constitutionnel »).
Il
semblerait même qu’une députée, opposée à cette extension, n’ait pu participer au vote. Car, elle serait arrivée en retard, après ledit vote.
Dans
cet article du 20 décembre 2017, nous écrivions notamment ceci :
« Ce constat amène à soulever
la question du quorum requis pour qu’une
loi soit valablement adoptée par le Parlement auquel le Conseil constitutionnel
a confié la protection de notre santé. Peut-on sérieusement considérer que 13% des députés pourrait prétendre
constituer ledit « législateur » ? Cette loi serait-elle
valablement votée alors même que 87% des députés auraient déserté l’Assemblée
nationale ? Quelle est donc la définition de ce législateur ?
Le contrôle de constitutionnalité
a priori qui pourrait être actionné par 60 députés semble exclu. Il est, en
effet, difficilement imaginable de voir ces députés, absents au moment du vote,
venir ensuite prendre part à la saisine du Conseil constitutionnel par voie d’action.
Cette situation prive les
citoyens, ayant confié leurs voix à
leurs représentants, d’une possibilité de recours effectif. Elle fait
prendre le risque de voir le corpus juridique irrigué par une disposition
inconstitutionnelle latente, notamment de fait.
Etc. »
Un premier argument
de la ministre des solidarités et de la santé, Madame Agnès BUZYN
Dès
hier, Madame la ministre des solidarités et de la santé a exprimé, dans un
tweet, l’argument suivant : « Permettre
à toutes les femmes d’accéder à la PMA, c’est possible grâce à la science ;
c’est souhaitable pour notre société, pour la diversité des familles et de tout
ce qu’elles ont à offrir ». Elle est contente : « Heureuse que l’Assemblée nationale
vienne de voter en faveur de la PMA pour toutes ! ».
Avec
cet argument, le techniquement possible
deviendrait un droit exigible. En réalité, cet argument pourrait puiser sa
source originelle dans la définition même
de la santé telle qu’elle est retenue par l’OMS (organisation mondiale de la santé) en 1946 : « État de complet bien-être physique,
psychologique et social »
et non pas l’absence de maladie ou d’infirmité. Une telle définition est vue
par certains comme une « sensation
que le commun des mortels peut connaître brièvement pendant l’orgasme ou sous l’influence
des drogues » (Petr SKRABANEK, La fin de la médecine à visage humain, Odile
Jacob, 1995). Eu égard à cet « état
de complet bien-être (…) social », le médecin ne pourrait plus rien
refuser. La médecine deviendrait le serviteur d’un « désir » social. Elle ne serait plus uniquement un moyen
censé traiter ou prévenir telle ou telle pathologie, telle que l’infertilité. D’autres
exemples le démontrent bien avant l’ouverture de cette PMA aux couples de
femmes et aux femmes seules.
L’enfant deviendrait donc un
produit accessible grâce à la « science ».
Dès sa conception, cet « enfant
sans père » n’aurait plus besoin de ce père. Il en serait donc privé dès
l’origine.
Un deuxième argument
de la ministre des solidarités et de la santé, Madame Agnès BUZYN
Selon
la ministre des solidarités et de la santé, ce père « peut être une
femme, évidemment ; ça peut être une altérité qui est trouvée ailleurs
dans la famille, on le voit, ça peut être des oncles, ça peut être une
grand-mère. Je crois que les enfants ont besoin d’amour, tout nous démontre
aujourd’hui que ce qui compte c’est la sérénité et l’amour autour de l’enfant,
et ça toutes les familles peuvent le garantir ».
On voudrait juste du sperme, mais
pas du père.
Une non prise en
compte des résultats de la consultation citoyenne lors des états généraux de la bioéthique
Lors
des états généraux de la bioéthique, une forte proportion de citoyens a exprimé
son hostilité à l’ouverture de cette PMA aux couples de femmes homosexuelles et
aux femmes célibataires : 90% ont
dit « Non » à cette extension ; et 88% ont souligné l’importance
du rôle du père pour un enfant.
Une déconsidération de
l’avis de l’académie nationale de médecine
Le
18 septembre 2019, l’académie nationale de médecine a exprimé sa position
officielle : « l’extension de l’AMP [assistance
médicale à la procréation = PMA] aux couples de femmes et aux femmes seules
relève davantage d’une loi sociétale (…) que de la loi de bioéthique
(…) ». Elle souligne que « si
l’invocation de l’égalité des droits de toute femme devant la procréation est
compréhensible, il faut aussi au titre de la même égalité des droits tenir
compte du droit de tout enfant à avoir un père et une mère (…) Sur ce point, il
y a donc une rupture volontaire d’égalité entre les enfants. A ce titre, la
conception délibérée d’un enfant privé de père constitue une rupture
anthropologique majeure qui n’est pas
sans risques pour le développement psychologique et l’épanouissement de
l’enfant ». Elle ajoute que le « principe
de précaution [est] si
souvent évoqué pour des sujets d’importance moindre ». Selon cette
académie, cette « disposition est
contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989,
ratifiée par la France. Celle-ci mentionne le droit de l’enfant à connaître ses
parents en insistant sur le « bien de l’enfant » comme sur son
« intérêt supérieur » ». Elle estime « que, de plus en plus malmenée par les évolutions sociétales, la
figure du père reste pourtant fondatrice pour la personnalité de l’enfant comme
le rappellent des pédopsychiatres, pédiatres et psychologues qui demeurent dans
leur majorité pour le moins réservés sur cette innovation radicale ».
Elle conclut : « Dans tous les
cas d’extension de l’AMP, on ne peut méconnaître la question de l’altérité et
celle de la différence homme-femme ».
Une ignorance de
l’avis de juristes
Ladite
extension de la PMA pourrait fragiliser
des principes fondamentaux tels que celui de l’indisponibilité du corps
humain, la non patrimonialité du corps humain, la gratuité des dons, le principe d’égalité entre homme et femme. En droit
interne, le Conseil d’État constate notamment que « le
cadre juridique repose sur des dispositions législatives introduites par les
trois lois de juillet 1994, révisées à deux reprises, qui ont dégagé ou
réaffirmé des principes fondateurs. Il s’agit des principes de primauté de la
personne humaine, de respect de l’être humain dès le commencement de la vie, de
l’inviolabilité , de la non patrimonialité du corps humain ainsi que de
l’intégrité de l’espèce humaine ». Le Conseil constitutionnel
considère que ces principes « tendent
à assurer le respect du principe de sauvegarde de la dignité de la personne
humaine ». Mais, ces principes ne semblent pas avoir été élevés au
rang constitutionnel. Des juristes ont alerté sur cette extension de la PMA.
Par exemple, un professeur agrégé des facultés de droit, soutient notamment ce
qui suit :
« Une minoration des
obstacles juridiques » ;
« Une lecture « technicienne »
du droit » ;
« « Une invocation » du modèle
français bioéthique » ;
« Une ignorance des répercussions
juridiques » ;
« Une nouvelle dégradation de
l’ordre juridique » ;
« Un morcellement du droit
bioéthique » ;
« Une fâcheuse impression de
« bricolage » voire d’arbitraire politique » ;
« Il est difficile de
comprendre les raisons obscures qui ont inspiré ce parti pris » ;
« Il ne manquera pas
d’alimenter des accusations dénonçant le manque de transparence voire
d’honnêteté des institutions publiques » ;
« Il contribuera pour
l’avenir à éloigner un peu plus les citoyens des « décideurs » et de
la classe politique et à les dissuader de participer à d’autres
« consultations citoyennes » ;
« Ces sentiments négatifs ne
peuvent qu’être confrontés par la lecture du second rapport du CCNE (comité
consultatif national d’éthique) » ;
« Il risque d’en ressortir
que la consultation populaire n’a servi à rien et que seul compte l’avis des
« experts » ;
« Experts non dénués
d’arrière-pensées politiciennes (…) CCNE qui (…) apparaît de plus en plus
souvent divisé et risque de perdre sa crédibilité auprès de l’opinion » ;
« Elles oublient que les
normes juridiques sont indissociables d’un contexte qui leur donne un sens et
qui détermine leur portée » ;
« Faisant abstraction de
l’histoire et de la cohérence des principes directeurs » ;
« Sont donc prises en compte comme évolutions
sociétales » des pratiques illégales, sans fondement » ;
« Ce constat n’en fait que
mieux ressortir que l’on essaie légitimement de protéger la nature dans
l’intérêt de l’humanité et des générations futures mais que l’on est incapable
d’assurer la protection directe de ces dernières contre les « apprentis
sorciers » de tous ordres » ;
« En dissociant sexualité et
procréation et en faisant de l’enfant le produit de technologies scientifiques
n’ouvrait-on pas la voie à une revendication de procréation ? » ;
« Tel est d’ailleurs déjà le
cas lorsqu’on tolère que des PMA et des GPA (gestation pour autrui) soient
réalisées à l’étranger et que l’on en tire pourtant les conséquences en
acceptant l’inscription des enfants ainsi conçus à l’état civil. Paradoxalement,
l’intérêt supérieur de l’enfant efface la violation de la loi française alors
qu’il semble insuffisant pour fonder l’interdiction de faire naître des enfants
sans père » ;
« Peut-on considérer comme un
équilibre satisfaisant le fait d’inciter tacitement ceux qui veulent enfreindre
la loi pénale de le faire à l’étranger et de leur permettre d’obtenir en France
ce que d’autres, plus respectueux de la loi ou moins fortunés, se voient
interdire ? » ;
« Alors qu’au nom de la
protection de l’environnement ou des consommateurs, on impose une
« traçabilité » pour les animaux ou les produits végétaux, celle-ci
n’aurait aucune portée pour les lignées humaines » ;
« En cas d’extension de la
PMA, les enfants de femmes seules ou de couples de femmes seraient beaucoup
plus enclins à rechercher leur père… » ;
« Un recours accru au
diagnostic préimplantatoire pouvant déboucher sur un eugénisme au moins
indirectement « organisé » par l’État » ;
« On n’échapperait plus à la
« marchandisation » du corps humain. Une logique
« sauvage » du marché est déjà omniprésente sur internet » ;
« Certains arguments fondés
sur le désir d’enfant et le principe d’égalité en faveur de la PMA vaudraient aussi pour la GPA » ;
« L’enfant est soumis à un
parcours fragmenté entre ses origines génétique, gestationnelle et
sociale » ;
« On peut avoir le sentiment
de nager en pleine hypocrisie » ;
« Il ne resterait plus que la
catégorie des hommes seuls, ou en couple qui souffriraient d’une
« discrimination » » ;
« Dès lors que l’on accepte de
perpétuellement remettre en question des principes séculaires, voire
millénaires, chaque palier franchi annonce le suivant dans ce qui serait une
perpétuelle course au « progrès » où le possible devient
l’exigible » ;
« Les débats sont aussi
révélateurs » ;
« Etc. ».
Les arguments de la
ministre des solidarités et de la santé, Madame Agnès BUZYN :
transposables à la GPA (gestation pour autrui), à moins de manquer de logique
À
l’avenir, certains pourraient se fonder sur les mêmes arguments, avancés
publiquement par notamment la ministre des solidarités et de la santé (cf. ci-dessus), pour
revendiquer leur « droit » à l’enfant :
« Permettre à [tous les hommes] d’accéder à la [GPA], c’est possible grâce à la science ;
c’est souhaitable pour notre société, pour la diversité des familles et de tout
ce qu’elles ont à offrir » ;
La
mère « peut être [un homme], évidemment ; ça peut être
une altérité qui est trouvée ailleurs dans la famille, on le voit, ça peut être
des [tantes], ça peut être [un grand-père]. Je crois que les
enfants ont besoin d’amour, tout nous démontre aujourd’hui que ce qui compte c’est
la sérénité et l’amour autour de l’enfant, et ça toutes les familles peuvent le
garantir ».
On voudrait juste louer l’utérus, mais
sans la mère…
Le
« désir » des adultes à avoir un enfant supplanterait alors le
« droit de l’enfant » et son « intérêt supérieur ».
N.B. : Un incident,
pour le moins surprenant, lors d’un vote d’un amendement par l’assemblée
nationale.
Publiquement,
des députés dénoncent le fait suivant :
un amendement est « adopté »
alors que la majorité des députés aurait voté « contre ». Leur demande de vérification est refusée par
le président de cette assemblée.
Enfin,
désormais, il reste à connaître notamment la position du Sénat.