dimanche 25 septembre 2016

L' "antidote" du PRADAXA : une autorisation de mise sur le marché (AMM) prématurée


Le PRADAXA® (dabigatran étexilate) est l’un des « nouveaux » médicaments anticoagulants oraux.

En premier lieu, le lecteur est invité à se rappeler la mise au point effectuée, le 11 décembre 2013, suite au désordre entourant la commercialisation de ces anticoagulants oraux directs. Ils ont été mis en circulation alors qu’ils n’ont pas d’antidotes, notamment. Ce qui rend délicat la gestion d’une hémorragie et complique la prise en charge d’un patient qui nécessite une chirurgie en urgence. (Cliquer ici)

Et voilà qu’en 2016, après une mise à disposition dans le cadre d’une ATU (autorisation temporaire d’utilisation) de cohorte fin 2015, l’« antidote » du PRADAXA®, tant attendu, arrive sur le marché. Cet antidote est le PRAXBIND® (idarucizumab). Il est produit par la technologie d’ADN (acide désoxyribonucléique) recombinant dans des cellules ovariennes de hamsters chinois. Il ne concerne pas les autres anticoagulants (apixaban, rivaroxaban) qui sont toujours en attente d’un antidote.

Cet « antidote » (PRAXBIND®) a bénéficié d’une procédure accélérée pour l’obtention de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Mais, cette AMM appelle plusieurs interrogations.

Un premier risque : confusion avec un autre médicament

Les cinq premières lettres de cette dénomination commune internationale (idarucizumab) rappellent celles d’un autre médicament : idarubicine (ZAVEDOS®).

Il y a donc lieu d’être vigilant pour éviter une éventuelle confusion d’autant plus que ces deux produits se conservent au réfrigérateur (entre 2°C et 8°C). Ce risque peut être majoré par l’utilisation de certains logiciels de prescription informatisée qui conduiraient le prescripteur à sélectionner le mauvais médicament dans un menu déroulant.

Le profil des effets indésirables : une discordance d’appréciations entre les autorités ad hoc

Les mêmes informations semblent être différemment interprétées par les différentes autorités.

Dans son avis rendu le 25 mai 2016, la commission de la transparence de la haute autorité de santé (HAS) indique notamment que « 29 patients (23,6%) étaient sortis prématurément de l’étude, principalement en raison d’un événement indésirable ayant conduit au décès (…) » ; que « les EI [effets indésirables] les plus fréquents ont été hypokaliémie (…) délire (…) constipation (…), fièvre (…) et pneumonie (…). » ; que « les EI [effets indésirables] rapportés étaient graves chez 53 patients (…) » ; que « cinq patients ont eu au moins un EI [effet indésirable] qui a été considéré par l’investigateur comme imputable au traitement dont (…) 1 cas d’arrêt cardiaque fatal (…) » ; que « parmi ces décès, un cas a été considéré par l’investigateur comme possiblement imputable à PRAXBIND (…) » ; etc.

Mais dans la rubrique « EFFETS INDÉSIRABLES » du dictionnaire VIDAL® (résumé des caractéristiques du produit - RCP -) de 2016, il est étonnant de lire : « Aucun effet indésirable n’a été identifié. » ! L’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) semble s’aligner sur la position de l’agence européenne (EMA). Celle-ci n’a retenu aucun lien de causalité avec l’idarucizumab alors même que, et comme le relève la HAS, « le rapport d’étude clinique mentionne que sept événements indésirables chez 5 patients ont été considérés par l’investigateur comme imputables à PRAXBIND®, dont 1 décès (arrêt cardiaque le jour de l’injection (…) et 1 cas de thrombus (…) ».

Ce n’est que dans une autre rubrique, située quatorze paragraphes plus loin, que ce VIDAL® reprend certains des effets indésirables soulignés par la HAS. Une maigre liste qui, en pratique, aurait peu de chance d’être consultée.

Des céphalées ont également été décrites.

Le VIDAL® indique aussi : « CONTRE-INDICATIONS : aucune ». Tout en soulignant dans la rubrique « MISES EN GARDE / PRÉCAUTIONS D’EMPLOI » les risques liés notamment à une « hypersensibilité » et à l’« intolérance héréditaire au fructose » pouvant entraîner le « décès »

Un excipient potentiellement mortel

Chaque flacon de PRAXBIND® contient 2g d’un excipient à effet notoire : le sorbitol.

Dans le corps humain, ce sorbitol est transformé en fructose. À la posologie retenue par l’AMM, la dose de sorbitol injectée peut provoquer des réactions graves voire mortelles chez environ 10% des patients souffrant de ladite intolérance héréditaire au fructose.

Mise en avant d’un mécanisme d’action au détriment des résultats cliniques

Un exemple pour comprendre la suite : chez un patient diabétique, par exemple, à quoi sert un médicament qui ne fait que baisser le taux de sucre dans le sang (glycémie) [critère intermédiaire] si ce médicament est incapable de prévenir les complications liées au diabète [morbidité] et s’il ne peut réduire la [mortalité] ? Or, une des astuces publicitaires classiques visant à présenter, favorablement, un nouveau médicament consiste d’abord à imaginer un mécanisme d’action physiopathologique plausible pour expliquer comment agit ce produit ; et de le tester ensuite uniquement sur un critère intermédiaire ; sans apporter la preuve d’une efficacité sur des critères cliniques de morbi-mortalité.

Un des documents faisant la publicité du PRAXBIND® indique justement ceci : « Découvrez le mécanisme d’action de la nouvelle spécialité Praxbind®, l’agent de réversion spécifique de Pradaxa® ».

Aussi séduisant soit-il, le mécanisme d’action d’un médicament ne saurait constituer une preuve d’un effet clinique significatif.

Les critères principaux d’évaluation du PRAXBIND® sont des tests biologiques et le VIDAL® nous en fournit quelques courbes. La HAS relève d’ailleurs que « le critère principal de jugement utilisé, fondé sur un test de la coagulation, n’est pas un critère de substitution validé. Le choix d’un critère principal clinique eut été plus pertinent. »

Une efficacité clinique non démontrée : une autorisation de mise sur le marché (AMM) avant la fin de l’essai clinique en cours

L’AMM a été délivrée alors que l’étude clinique de phase III n’est pas encore achevée. Le PRAXBIND® est mis sur le marché sur le fondement de quelques données issues principalement d’une analyse intermédiaire de cet essai clinique non comparatif. Dans certaines situations, le schéma posologique laisse même des questions en suspens.

Cette étude de phase III prévoit le recrutement de 500 patients au final.

Un essai clinique de phase III avec un faible nombre de patients

Au total, seulement 500 patients sont prévus dans cet essai clinique. Alors qu’en général, il faudrait environ :

-     le double (1000 sujets exposés) pour voir apparaître 1 effet indésirable dont l’incidence est de 1/100 ;

-     5000 sujets pour pouvoir observer 1 effet indésirable dont l’incidence est de 1/500 ;

-     10.000 sujets pour espérer détecter 1 effet indésirable dont l’incidence est de 1/1000 ;

-     Etc.

Que penser de cette analyse intermédiaire menée chez 123 patients ?

Risques liés aux modalités de conservation du PRAXBIND®

À température ambiante, le produit n’a qu’une courte stabilité physicochimique. Il présente un risque sérieux de contamination microbienne. « En cas d’utilisation non immédiate, les durées et conditions de conservation avant utilisation relèvent de la seule responsabilité de l’utilisateur » précisent les mentions légales.

En pratique

Le rapport bénéfice/risque du PRAXBIND® est insuffisamment évalué. Son efficacité clinique n’est pas établie. Son profil d’effets indésirables est mal connu.

Sa commercialisation prématurée ne devrait pas encourager les professionnels de santé à banaliser l’utilisation du PRADAXA® et à faire de ce dernier un anticoagulant de référence. (Cliquer ici)

La HAS considère d’ailleurs que cet antidote « n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu (ASMR V) dans la stratégie thérapeutique actuelle qui comprend les traitements symptomatiques, chez les patients adultes traités par PRADAXA (dabigatran étexilate) quand une réversion rapide de ses effets anticoagulants est requise pour une urgence chirurgicale ou des procédures urgentes ou en cas de saignements menaçant le pronostic vital ou incontrôlés. »

Il semblerait enfin, selon la HAS, qu’aucune autre étude clinique nouvelle n’est prévue. Mais, peut-être que ladite étude serait déjà en train de se réaliser dans la vraie vie et de façon sauvage : un « essai clinique grandeur nature », à large échelle, qui ne manquerait pas de nous livrer quelques informations dans le cadre de la pharmacovigilance. Cette dernière étant la phase IV d’évaluation du médicament. Tout patient recevant un tel « antidote » deviendrait, de fait et malgré lui, un « Homme-cobaye ».

À suivre.






jeudi 8 septembre 2016

Effets indésirables émergents : quelle attitude thérapeutique adopter ?


Il est parfois difficile de prendre une décision face à un éventuel effet indésirable nouveau d’un médicament commercialisé. Un exemple concret permet d’illustrer ce fait.

Une patiente, âgée de 69 ans, souffre d’une polyarthrite rhumatoïde. Elle débute un traitement par abatacept (ORENCIA®) et ressent une amélioration. Ce médicament est un immunodépresseur. La patiente prend d’autres médicaments. Mais, environ trois semaines après l’introduction de l’abatacept, le médecin détecte une occlusion de la veine centrale de la rétine du côté droit.

Cette occlusion, cet accident thromboembolique, n’est pas un effet indésirable connu sous ce médicament. Au niveau de la littérature, les données disponibles n’autorisent nullement d’accuser, avec certitude, ce produit. L’imputabilité de cet effet indésirable à ce médicament reste donc douteuse.

Pour autant, le lien ne pourrait être écarté eu égard à certains signalements enregistrés par le système de pharmacovigilance. Ces signaux, bien qu’ils ne soient pas similaires au cas de cette patiente, méritent l’attention.

En effet, une première base de données repère 5 cas. Dans certains de ces cas, l’évolution est connue et favorable. Chez un de ces patients, le traitement a été arrêté. Chez deux autres, il a été poursuivi avec l’ajout d’un traitement anticoagulant.

Une deuxième base de données enregistre 30 cas de thrombose. L’évolution n’est connue que dans 3 cas ; elle est favorable. Chez 2 patients, le traitement a été arrêté.

Une troisième base de données livre 25 cas de thrombose, 4 cas de thrombose veineuse, 15 cas de thrombose veineuse profonde et 1 cas d’occlusion vasculaire.

Serions-nous face à l’émergence d’un nouvel effet indésirable inconnu à ce jour ? Ou cet effet indésirable serait-il la manifestation d’une autre cause non médicamenteuse ?

Le doute devrait-il bénéficier au patient ou au médicament qui semble soulager ce patient ?

Devrait-on arrêter, dé-prescrire, le médicament suspect ? Ou le poursuivre en ajoutant un autre médicament, en l’espèce un traitement anticoagulant, susceptible de prévenir l’évènement thromboembolique en question ? Un autre médicament avec, par conséquent, le risque inhérent à ses propres effets indésirables.

En pratique, la décision thérapeutique appelle à s’interroger sur l’évaluation du rapport bénéfice / risque de ce médicament et sur la place de ce produit dans l’arsenal thérapeutique disponible. Cette décision doit associer le principal concerné : le patient. Ce dernier doit être informé de façon éclairé.






lundi 5 septembre 2016

CTIAP : la famille s'agrandit


C’est avec satisfaction que je viens de prendre connaissance de ce qui semblerait être « la nouvelle stratégie nationale de santé » qui « a pointé l’impératif de la mise en place d’un service public d’information en santé ». Cette « expérimentation » est « intitulée Médicament Info Service ». À la demande de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère des affaires sociales et de la santé, cette expérience aurait débuté, en octobre 2015, dans « 4 régions » en France : Bretagne, Normandie, Paca et Rhône-Alpes. Cliquer ici

Le CTIAP de la ville de Cholet se sent, enfin, moins seul.

En effet, dès le 9 juillet 2015, nous avions annoncé le lancement du « Centre Territorial d’Information Indépendante et d’Avis Pharmaceutiques » (CTIAP) au centre hospitalier de Cholet. Un projet prêt depuis décembre 2007. Cliquer ici

Cette information a été diffusée par plusieurs médias :

-     Ouest-France et le Courrier de l’Ouest (11 juillet 2015) : Cliquer ici

-     La radio RCF Anjou (24 juillet 2015) ;

-     HOSPIMEDIA, l’actualité des territoires de santé (21/08/2015) : Cliquer ici

-     Le quotidien du pharmacien (7 septembre 2015) : Cliquer ici

L’intitulé de l’expérience nationale, « Médicament Info Service », choisi par le ministère de la santé, rappelle presque celui attribué au CTIAP par Ouest-France dès le 11 juillet 2015 : « Médicament : un service d’info indépendant ».

L’initiative Choletaise a-t-elle été portée à la connaissance du ministère de la santé ?

En tout cas, l’agence régionale de santé (ARS) des Pays-de-la Loire, elle, a bien été informée depuis 2007.