Madame le docteur Michèle BOISDRON-CELLE est responsable du
Département de Biologie médicale et biologie des essais cliniques de l’Institut de Cancérologie de l’Ouest
(ICO) site Paul Papin. Dans un article, entièrement reproduit ci-dessous, elle nous
fait l’honneur de proposer une solution
pour prévenir notamment des décès évitables tout en réduisant les coûts pour la collectivité.
L’auteure attire
notre attention sur un risque lié à l’utilisation d’un médicament
anticancéreux : le 5-fluorouracile
(5-FU). Le VIDAL®2017 nous indique notamment que « de manière inattendue, des toxicités sévères (…) associées au
5-FU ont été attribuées à un déficit
d’activité » d’une enzyme
particulière dite « DPD ».
Le VIDAL ajoute que les patients « présentant
une activité faible ou une absence d’activité de la DPD (…) sont exposés à des
risques accrus d’effets indésirables sévères, engageant le pronostic vital ou
d’évolution fatale provoqués » par le 5-FU.
Comment prévenir ce
risque qualifié, selon le VIDAL®, de « risque maximal de toxicité engageant le
pronostic vital ou d’évolution fatale » ?
Dans l’article
ci-dessous, Michèle BOISDRON-CELLE nous présente la méthode à suivre avant d’initier un traitement chez un patient.
Article de Madame le docteur Michèle
BOISDRON-CELLE, septembre 2017 :
« Le 5-fluorouracile (5-FU), antimétabolite connu
depuis presque un demi-siècle, est l’un des plus anciens médicaments
anti-cancéreux. Il rentre dans la composition d’environ 60% des
chimiothérapies, principalement dans le traitement du cancer colorectal
métastatique mais aussi en adjuvant ainsi que dans le traitement des cancers du
sein, du pancréas, et ORL.
On estime à 80 000
le nombre de nouveaux patients
traités par cette molécule en France.
Ces médicaments sont à l’origine de 20 à 25% de toxicités sévères, de grade
III-IV, selon les études, essentiellement digestives, hématopoïétiques et
cutanéo-muqueuses, mortelles dans 0,2% des cas(4, 5) ce qui
représente un risque de décès pour 160
patients par an (1400 aux USA).
Le 5-fluoro-uracile
(5-FU) et ses prodrogues administrables par voie orale, sont éliminés de
l’organisme principalement par voie métabolique, essentiellement au niveau
hépatique, mais aussi pulmonaire. Son élimination urinaire sous forme inchangée
ne représente que 5 à 10 % de la dose administrée.
L’enzyme initiale du
métabolisme des fluoropyrimidines et des pyrimidines naturelles (uracile et
thymine), la Dihydropyrimidine Déshydrogénase (DPD), est l’enzyme majeure et
limitante de leurs éliminations de l’organisme. Cette enzyme est ubiquitaire et
elle est responsable du catabolisme de 85 % des fluoropyrimidines. Elle
transforme les bases pyrimidiques naturelles (uracile et thymine) en leurs
dérivés dihydrogénés (dihydro-uracile (UH2) et dihydrothymine). Elle
permet aussi la réduction du 5-FU en 5-fluoro-5,6-dihydro-uracile (FUH2).
La deuxième étape du catabolisme fait intervenir la dihydropyrimidinase pour
former l’acide 5-fluoro-uréidopropionique (FUPA), qui est finalement métabolisé
en α-fluoro-β-alanine (FBA) sous l’action de l’uréidopropionase(29).
L’activité de la DPD
possède une grande variabilité
interindividuelle, avec des valeurs d’activité pouvant être six fois plus
élevées d’un patient à l’autre(30). Il a été montré que, quelle que
soit la population étudiée (sujets sains ou patients), la distribution de cette
activité était gaussienne(29). L’activité de la DPD est soumise à un
polymorphisme génétique, de transmission autosomique codominante. Il existe
donc des familles de déficitaires.
Ce polymorphisme est à l’origine de déficits enzymatiques, majeurs (3 à 5%),
voire complets (0,2%), pouvant générer des complications polyviscérales graves, précoces, aiguës parfois mortelles avec différentes
fluoropyrimidines(31, 32, 33). Ces toxicités se manifestent
principalement au niveau du tractus digestif et de la moelle osseuse, voire du
système nerveux central. Une fois installée cette toxicité est irréversible. Cette toxicité létale a aussi été
décrite avec les formes orales du 5-FU : la capécitabine (Xéloda), l’UFT
qui sont très largement utilisés(19,20). Le déficit enzymatique est asymptomatique il est donc indécelable a priori.
Différentes approches permettant le dépistage de ces
patients ont été développées. Elles doivent répondre à un certain nombre de
critères et contraintes, tels qu’une très bonne sensibilité, une très bonne
spécificité, et respecter un délai de rendu de résultats suffisamment court
afin de ne pas retarder la mise en traitement. Elles doivent aussi donner lieu
à un conseil thérapeutique.
Deux approches
générales semblent s’affronter : phénotypique et génotypique, l’enzyme ou le
gène. En fait, aucune des deux prisent isolément n’apporte actuellement de
solution satisfaisante. L’approche phénotypique, par la mesure du rapport
dihydrouracile/Uracile (UH2/U) qui est la plus adaptée, présente une
grande sensibilité, mais une plus faible spécificité. À l’inverse, le
génotypage de la DPD est caractérisé par une excellente spécificité mais une
plus faible sensibilité même en dépistant différents SNP. Combinées, les deux approches se complètent et permettent
d’atteindre à la fois une excellente spécificité et une excellente sensibilité(46).
Une étude (ASCO 2012) a
évalué le coût-efficacité du dépistage
préthérapeutique du déficit en DPD en combinant les deux approches
(génétique et phénotypique [UH2/U])(48). Le principal
critère d’efficacité était le nombre de toxicités aiguës sévères précoces
évitées et le second était le nombre ajusté de jours de qualité de vie.
L’analyse a été effectuée à partir de données rétrospectives de deux
populations de patients traités pour un cancer colorectal : l’une de 856
patients avec un dépistage préthérapeutique systématique [5FUODPMTox™]
et une adaptation de dose de 5-FU en cas de déficit partiel [5FUODPMProtocol™]
et l’autre de 886 patients traités dans l’essai avec une dose standard de 5-FU
sans dépistage préthérapeutique. La mesure principale d’efficacité était le
nombre de toxicités de grades 3–4 ou plus. Les deux stratégies ont été
comparées en termes de résultats et de coûts : coûts du test de dépistage (192€) et des toxicités (coûts directs,
indirects selon GHM, GHS et Étude nationale des coûts). La prévalence des
toxicités sévères au premier cycle de chimiothérapie était de 0,5 % et au
second cycle de 0,9 % dans le groupe dépisté alors qu’il était de 5,8 et 6,9 %
respectivement dans le bras non dépisté. Il n’y avait pas de décès toxique dans
le groupe dépisté versus un décès toxique chimio-induit dans le bras non
dépisté. La stratégie de dépistage permettait à la fois d’éviter des toxicités
et d’éviter des dépenses de santé liées à ces toxicités.
Le coût évité par patient dépisté était de 313€ pour les deux premiers
cycles et de 2780€ par toxicité évitée. Le
bénéfice cumulé net par patient dépisté était de 426€, montrant que le coût du
dépistage était inférieur au coût de la toxicité évitée(48).
Malgré des décès
réguliers dus à ces molécules il n’existe pas, à l’heure actuelle,
d’obligation en termes de dépistage. Même si, le risque létal ou de toxicité grave parait inacceptable lorsqu’un
dépistage simple et accessible est disponible. Les données scientifiques
existent. Il semble donc qu’un praticien ne devrait pas traiter un patient sans
ces analyses compte tenu de la position actuelle de la loi et de son
interprétation par la jurisprudence(50).
En Pratique
Clinique : Dépistage des patients à risque de toxicités
Il est tout à fait possible à l’heure actuelle de
dépister tous les patients avant administration de fluoropyrimidines.
Différents laboratoires hospitaliers et privés (Eurofins Biomnis) proposent ces
analyses.
Les prélèvements (2 tubes héparinate de lithium) sont
à réaliser 10 jours avant le début de la chimiothérapie.
- Le tube 1 est
expédié à température ambiante et permet l’extraction de l’ADN puis la
recherche des mutations d’intérêt par séquençage ou PCR en temps réel. Ce
prélèvement peut être acheminé à température ambiante car l’ADN est stable.
- Le tube 2 est
centrifugé dans les 30 min suivant le prélèvement, le plasma est décanté et
congelé immédiatement à -20°C. Ce prélèvement permettant la quantification de
l’Uracile et du dihydrouracile doit être acheminé congelé à -20°C.
La quantification de l’Uracile et du dihydrouracile
fait appel à des techniques chromatographiques (HPLC et UPLC) couplées à des
détecteurs UV ou des spectres de masses. Les polymorphismes génétiques peuvent
être caractérisés par séquençage.
La présence d’une mutation à l’état hétérozygote
n’étant pas forcément une contre-indication à l’administration des
fluoropyrimidines l’interprétation des résultats doit faire appel à des
techniques multiparamétriques éprouvées (DM-DIV marquées CE) telle que 5FUODPMTox™
(ODPM, France). Ces algorithmes tiennent compte non seulement des résultats
biologiques (phénotype et génétique) mais aussi des paramètres physiologiques
et physiopathologiques du patient.
L’interprétation du résultat va comprendre le calcul
du risque de toxicité ainsi que la dose à administrer à la première cure. Ils
sont adressés au prescripteur dans les 5 à 10 jours ouvrés après réception des
prélèvements.
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