Quatre
exemples, non exhaustifs, appellent à s’interroger, de façon urgente, sur l’efficacité, voire l’efficience,
du système d’alerte dans le domaine
du Médicament. Ce processus nous semble menacé.
Et par conséquent, c’est la sécurité des
patients qui pourrait être compromise. D’où cette nouvelle alerte.
Ces
exemples traitent les cas suivants :
1) 1er juillet 2018
: « Plus de 80 000 cas suspectés d’effets indésirables concernant 19
médicaments » non transmis aux agences du médicament. « Firmes
pharmaceutiques : impunité organisée »
2) 6 juillet 2018 : Des
patients « obligés » de continuer à prendre un médicament à base de
valsartan, malgré la présence d’une « impureté probablement cancérogène
chez l’homme »
3) 9 avril 2018 : Plusieurs
vaccins « défectueux » non retirés du marché
4) Dans un hôpital public
aussi : « impunité organisée »
Exemple n°1
1er juillet 2018
: « Plus de 80 000 cas suspectés d’effets indésirables concernant 19
médicaments » non transmis aux agences du médicament. « Firmes
pharmaceutiques : impunité organisée »
En
ce début du mois de juillet 2018, la revue Prescrire publie un article sous le
titre « Firmes pharmaceutiques : impunité organisée ». Cet article nous
informe qu’une « inspection menée en 2012 » a révélé « que la
firme Roche n’avait pas analysé ni transmis
aux agences du médicament plus de
80 000 cas suspectés d’effets
indésirables concernant 19 médicaments. »
Pour
avoir adopté une « attitude humble et repentante », la firme a
« cherché, avec succès » l’obtention de « la clémence des
autorités européennes ». Les poursuites « s’arrêtent donc ». La
firme « n’aura pas à payer les près de 700 millions de dollars d’amende en
jeu ».
Exemple n°2
6 juillet 2018 : Des
patients « obligés » de continuer à prendre un médicament à base de
valsartan, malgré la présence d’une « impureté probablement cancérogène
chez l’homme »
Le
6 juillet 2018, l’ANSM publie un « point d’information » sur son site
sous le titre « Rappel de certains médicaments à base de valsartan ».
Ce médicament, le valsartan, est « utilisé dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque, dans l’hypertension artérielle et en post infarctus du myocarde récent ».
Le nombre de personnes concernées pourrait donc être conséquent.
L’ANSM
parle de « Rappel » et dans le même temps, elle ordonne aux patients concernés de ne pas rapporter leurs médicaments
défectueux à la pharmacie en vue d’un échange : « Pour autant, les patients traités par ces spécialités ne
doivent pas arrêter d’eux-mêmes leur traitement ni rapporter leur boîtes
à la pharmacie. » Et alors même que « des spécialités à
base de valsartan non concernées par ce
défaut » existent. Pourtant,
l’ANSM indique la raison de ce retrait de lots défectueux :
Il
s’agit d’un « (…) défaut qualité affectant certaines spécialités à base
de valsartan et de valsartan/hydrochlorothiazide. Il s’agit d’une impureté retrouvée dans la substance active fabriquée
par la société chinoise Zhejiang Huahai
Pharmaceuticals. Cette impureté est la N-nitrosodiméthylamine (NDMA), substance
classée comme probablement cancérogène chez l’homme (…). »
L’ANSM
renvoie les patients vers leur médecin ou leur pharmacien : « Pour toute question, les patients
peuvent se rapprocher de leur médecin ou de leur pharmacien. » Mais, comment ce médecin ou ce pharmacien pourrait-il expliquer à son patient qu’il
pourrait continuer à prendre un médicament contenant une impureté « probablement
cancérogène chez l’homme » ? L’ANSM est priée de nous
indiquer l’explication à fournir aux
patients pour les convaincre de continuer à prendre ce produit malgré son caractère
potentiellement nuisible.
Comment
convaincre ces femmes et ces hommes alors que l’ANSM nous précise que « les productions de la substance active de cette société ont été arrêtées et les spécialités contenant
cette substance active commercialisées en France ont été placées en quarantaine par les laboratoires fin
juin 2018 » ; que « les
États Membres de l’Union Européenne ont décidé collectivement et de manière
concertée un rappel des lots des
spécialités impactées par ce défaut sur
l’ensemble du territoire européen » ; et que « les laboratoires, en accord avec l’ANSM,
procèdent aujourd’hui au rappel auprès
des officines, grossistes-répartiteurs et pharmacies hospitalières françaises
des spécialités potentiellement affectées par ce défaut » ?
Dans
ce point d’information, l’ANSM nous indique qu’« il n’existe pas de risque
aigu pour le patient ». Mais, en aucun moment, elle ne cite le mot :
risque « chronique ». Un risque chronique se produit lors d’une
utilisation notamment prolongée d’un médicament. Or, le valsartan
est utilisé dans des pathologies chroniques. Ce caractère probablement cancérogène serait-il ce risque « chronique »
encouru ? Serait-ce le seul ?
Une
autre question jaillit. L’évaluation du
risque, notamment « chronique », nécessite la connaissance de la durée
du traitement pris par un patient. Or, la
date exacte de commercialisation de ces lots défectueux, contaminés par
ladite impureté probablement cancérogène chez l’Homme, n’est pas communiquée par ce point d’information de l’ANSM.
À l’Étranger, prenons l’exemple du Maroc. Dans un communiqué
de presse du même jour, soit le 6 juillet 2018, le Ministère de la Santé rappelle
les lots défectueux en donnant un autre conseil aux
patients : « Recommandations pour les patients : « (…)
Si vous utilisez l’un des médicaments cités ci-dessus, il
est important de consulter votre médecin pour le remplacer par un autre
médicament à base de valsartan d’une source différente ou par un traitement
alternatif. Il est important de ne pas interrompre votre traitement. Si vous
avez des questions au sujet de votre traitement, parlez-en à votre pharmacien
ou à votre médecin. » !
Prenons
un autre exemple. En appliquant le
principe de précaution, L’Espagne va dans le
même sens que le Maroc. Dès le 5
juillet 2018, l’Agence espagnole des
médicaments donne les recommandations suivantes aux patients : « Si usted está
utilizando alguno de los medicamentos incluidos en el Anexo, no interrumpa el
tratamiento y acuda a su médico para la
sustitución del medicamento que están tomando por otro con la misma composición que no esté afectado por este
defecto de calidad. » Elle donne des recommandations aux médecins : « Deben revisar los
tratamientos en curso y en el caso de tener pacientes en tratamiento con alguna
de las presentaciones afectadas sustituirla
por otro medicamento con la misma composición que no esté afectado. (…) ».
Elle donne des recommandations
aux pharmaciens : « Ante una
prescripción de una de las presentaciones afectadas, indiquen al paciente que
no interrumpa el tratamiento y acuda al
médico para que le prescriba uno de los medicamentos no afectados. »
L’Espagne, le Maroc seraient-ils plus
prudents que la France ?
Exemple n°3
9 avril 2018 : Plusieurs
vaccins « défectueux » non retirés du marché
Au
mois d’avril 2018, l’ANSM constate la « défectuosité » de plusieurs vaccins. Elle décrit les
risques encourus par la population. Mais, elle décide de ne pas retirer
ces lots défectueux alors même que, là
encore, des lots conformes sont
disponibles. Elle a décidé d’écouler les stocks de ces produits
défectueux jusqu’à la date prévue (fin 2019). Par ailleurs, elle tente de transférer la responsabilité de la
décision sur les professionnels de santé. (Lire notre alerte publiée le 1er juillet 2018)
Notre
alerte a été reprise par Ouest-France
dans sa première page « France » (nationale), version papier du 4
juillet 2018. La version internet, du 3 juillet 2018, est disponible.
Exemple n°4
Dans un hôpital public
aussi : « impunité organisée »
L’exemple d’un établissement
public de santé mérite d’être cité. Un système organisé prive le
responsable de la pharmacovigilance et de la coordination des vigilances
sanitaires d’accéder aux fiches de signalements des événements
indésirables liés au circuit du médicament. Les auteurs de ces obstacles ont
été investis de grandes responsabilités.
La
revue Prescrire, qui dénonce l’« impunité organisée » des « firmes
pharmaceutiques » serait, pour le moins, étonnée d’apprendre que depuis plusieurs années, un système
organisé dans un hôpital interdit au
responsable de la pharmacovigilance et de la coordination des vigilances
sanitaires d’accéder à une copie des
fiches d’incidents signalant des événements indésirables observés lors
de l’administration des médicaments
à des patients hospitalisés notamment. Ces signalements sont effectués par des
soignants auprès de la sous-direction chargée de la Qualité.
Au
sein de cet hôpital, les auteurs de ce système diffusent des informations, écrites, en décalage avec les dispositions légales
et réglementaires en vigueur dans le domaine de la pharmacovigilance.
Par
exemple, en 2011, une personne diffuse publiquement, et y compris lors d’une
séance de la commission médicale d’établissement, la fausse information suivante : « l’erreur médicamenteuse
est distincte de la pharmacovigilance qui s’intéresse aux événements
inévitables et fait l’objet de déclarations séparées. » Cette
affirmation inexacte vient ainsi
anéantir les actions menées dans cet établissement en matière de
pharmacovigilance. Elle passe outre la procédure approuvée, de longue date, par
l’établissement lui-même. Cette contre-vérité est clairement contredite par notamment les quatre arguments suivants :
1) L’article R.5121-151 du
code de la santé publique : « La pharmacovigilance comporte le
signalement des effets indésirables suspectés d’être dus à un médicament ou à
un produit mentionné à l’article R.5121-150, y compris en cas de surdosage, de mésusage, d’abus et d’erreur
médicamenteuse tels que définis à l’article R.5121-152, ainsi que la
surveillance des effets indésirables liés à une exposition professionnelle et
le recueil des informations les concernant. Pour les médicaments faisant
l’objet d’une autorisation de mise sur le marché ou d’un enregistrement, cela
s’entend dans les cas d’utilisation conforme
ou non conforme aux termes de
cette autorisation ou de cet enregistrement ; le recueil,
l’enregistrement, l’évaluation et l’exploitation de ces informations dans un but de prévention ou de réduction
des risques et au besoin pour prendre des mesures appropriées.
(…) » ;
2) Les Bonnes pratiques de
pharmacovigilance que
le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est
venu rappeler dans sa « Décision du 2 février 2018 » ;
3) L’Ordre national des
pharmaciens. En effet, dans une production datant de juin 2017 et intitulée « La responsabilité du
pharmacien : de la fabrication du médicament à sa dispensation, agir dans
l’intérêt du patient », l’Ordre professionnel rappelle « l’attitude » à adopter « face aux événements
indésirables » :
« Quid de l’attitude des professionnels –
et donc du pharmacien – face aux erreurs
et événements indésirables ? L’article 9 [de l’arrêté du 6 avril 2011
relatif au management de la qualité de la prise en charge médicamenteuse et aux
médicaments dans les établissements de santé] énonce que « toute personne impliquée directement ou indirectement dans la
prise en charge médicamenteuse est tenue
de déclarer les événements
indésirables, erreurs médicamenteuses ou
dysfonctionnements liés à la prise en charge médicamenteuse ». Il
est, d’autre part, indiqué dans l’article que la direction de l’établissement met en place une organisation
chargée d’analyser les causes des événements déclarés et de proposer, pour
chaque déclaration analysée, des actions d’amélioration afin d’accroître la sécurité. Toutefois, cette « déclaration interne » qui s’inscrit dans le cadre du
système d’assurance qualité de l’établissement n’exonère pas les professionnels de santé de leurs obligations
déclaratives en matière de pharmacovigilance. »
4) Le procès-verbal de la
commission médicale d’établissement du 28 septembre 2017 :
« (…) la notification des cas observés dans le cadre du mésusage et de
l’erreur médicamenteuse notamment. »
En
mars 2018, ces freins dressés contre la pharmacovigilance sont toujours
d’actualité. Un écrit diffusé informe les membres de la commission du médicament, ainsi que les autres médecins et
pharmaciens, de la date et de l’ordre du jour de la réunion programmée en avril
2018. C’est ainsi que le responsable de la pharmacovigilance et de la
coordination des vigilances sanitaires, qui n’est plus invité à cette commission, découvre l’existence d’un « bilan événement indésirable
médicamenteux 2017 ». Or, ces « événements »
indésirables médicamenteux n’ont jamais
été transmis à ce responsable de la pharmacovigilance et de la coordination
des vigilances sanitaires. À nouveau, ce dernier demande une copie de
l’intégralité des fiches signalant ces événements indésirables. Demande refusée.
Ce
responsable de la pharmacovigilance et de la coordination des vigilances
sanitaires espère alors pouvoir récupérer au moins ledit « bilan événement
indésirable médicamenteux 2017 » présenté lors de cette séance de
la commission du médicament du mois d’avril 2018. Il attend donc le
compte-rendu habituellement diffusé. Il le demande. Mais, les auteurs de ces obstacles innovent : le compte-rendu de cette séance est
finalement diffusé, mais sans le point
correspondant à ce « bilan événement
indésirable médicamenteux 2017 » ; et alors même que ce
compte-rendu indique ce point dans la page relative à l’ordre du jour.
En
2010, pour entraver la déclaration en pharmacovigilance d’un effet
indésirable grave, une autre personne a même
osé remettre en cause, et par écrit, la définition même d’un effet indésirable.
Pendant toutes ces années,
ce responsable de la pharmacovigilance n’a
cessé d’alerter les organes compétents au
sein de l’établissement ainsi que les
autorités ad hoc extérieures à
l’hôpital. En vain !
La
nouvelle direction avait pourtant tenté de lever ces obstacles. En effet, en
2013, ce responsable de la pharmacovigilance a été informé : « (…)
il est prévu que vous soyez destinataire de toutes les fiches ayant trait avec
le médicament (…) ». Une décision qui n'a pas été respectée.
Mais,
le directeur, lui-même, semble se heurter à de « fortes oppositions ».
Ces
résistances croient pouvoir continuer à prospérer en détournant le système légal de la pharmacovigilance nationale. Les
données de la pharmacovigilance sont pourtant essentielles à l’amélioration de la
connaissance du rapport bénéfice/risque des médicaments.
Contrairement à la firme Roche,
aucune procédure ne semble avoir été engagée contre les auteurs de ces
agissements. Bien au contraire, ils ont été promus « chef de
service », « vice-président
de la commission médicale d’établissement », « coordonnateur de la gestion des risques associés aux
soins », « directeur
qualité », « membre du
directoire », etc.
La
firme pharmaceutique, au moins elle, reconnaît sa faute.
Conclusion
Comme
l’écrit la revue Prescrire en ce début du mois de juillet 2018 : « On mesure ici toutes ses
insuffisances et l’impuissance délibérée des autorités de régulation ».
Après,
certains s’étonnent des raisons de la
méfiance de la population envers lesdites autorités de régulation.