Le 18 décembre
2018, l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament) « invite » les professionnels de santé « à appliquer » les « nouvelles » recommandations
émises par l’Institut national du cancer (INCa) et la Haute autorité de santé
(HAS). Ces recommandations, datées du 18 décembre 2018, sont ainsi
libellées : « Recherche de
déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase [DPD] en vue de prévenir certaines
toxicités sévères survenant sous traitement comportant des fluoropyrimidines
[5-fluorouracile (5-FU) et capécitabine (prodrogue du 5-FU)]. »
Sur ce sujet, l’INCa
a été saisi par la Direction générale de la santé (DGS). La HAS, elle, a décidé
de s’autosaisir de cette question.
Ces « nouvelles » recommandations
appellent les observations et la réflexion suivantes.
Au centre hospitalier de Cholet, ces
recommandations ont été diffusées le 19 décembre 2018. Mais, pour notre hôpital
public (de Cholet), une question se pose.
Ces « nouvelles »
recommandations sont-elles une avancée ou un recul en matière de sécurité des
patients concernés par ces traitements ?
En effet, au sein
de notre établissement public de santé, les professionnels de santé concernés
par ce sujet n’ont pas attendu ces
recommandations, certes « nouvelles » pour certaines
régions de France, pour rechercher ce déficit enzymatique à l’origine de
toxicités sévères et de décès.
Depuis de
nombreuses années, dans notre établissement et selon les informations
recueillies, ce dépistage est effectué par la
méthode, dite multiparamétrique,
de détection des déficits en DPD et d’aide à l’adaptation posologique des
fluoropyrimidines : une technique qui associe
phénotypage et génotypage ; elle utilise un algorithme combinant
les résultats obtenus avec certaines caractéristiques cliniques du patient et le
type de traitement envisagé. Le but étant de proposer une dose adaptée à chaque
patient pour la première cure de traitement. Cette méthode a été mise au point et brevetée par l’équipe
de l’Institut de Cancérologie de l’Ouest
(ICO) du site Paul Papin basé à Angers
(Gamelin et al. 1999 ; Boisdron-Celle et al. 2007).
Or, cette méthode n’est pas celle retenue dans ces « nouvelles » recommandations.
Elle n’est donc pas inscrite au remboursement.
En lieu et place de
cette méthode utilisée de longue date dans notre Territoire, ces « nouvelles » recommandations
préconisent désormais la mesure de la seule « uracilémie ».
La HAS semble avoir donné un avis en faveur de l’inscription au remboursement de cet examen. Ce dernier est l’une
des deux techniques possibles du phénotypage.
Dans le même temps, ces recommandations précisent que « les performances
prédictives de cette méthode de phénotypage n’apparaissent cependant pas
non plus bien connues et sont vraisemblablement faibles » d’une
part ; et qu’il n’existe pas de « valeur
seuil établie de façon consensuelle » d’autre part. Par ailleurs, les
conditions « pré-analytiques »
strictes méritent d’être connues et strictement respectées ; car la
fiabilité des résultats en dépend.
L’autre technique
du phénotypage, basée sur le calcul du ratio
dihydrouracile/uracile (UH2/U), est écartée.
Le génotypage, lui aussi, est exclu de ces « nouvelles » recommandations. Et alors même que dans le
paragraphe relatif aux « aspects réglementaires »,
ces mêmes recommandations relèvent la
position européenne sur ce point :
« Au niveau européen, en juillet 2017, en réponse
à un avis demandé par le Committee for medicinal products for human use (CHMP)
de la European medicines agency (EMA), le Pharmacovigilance
risk assessment committee (PRAC) s’est
prononcé en faveur d’une modification des RCP de la capécitabine et des
spécialités de 5-FU en vue d’y intégrer des informations relatives à la
problématique des déficits en DPD et, plus particulièrement à la possibilité de
les détecter par génotypage. (…) »
Ces mêmes
recommandations poursuivent :
« Faisant suite aux préconisations du PRAC, le RCP européen de la capécitabine
(Xeloda®) a été actualisé en avril 2018
(…) La version actualisée fait
maintenant état d’un lien entre la présence des variants (…) et un risque
augmenté de toxicité sévère sous capécitabine. La recherche de ces variants par génotypage est donc recommandée avant traitement (…). »
Il y a lieu de
noter que les « RCP des spécialités génériques de 5-FU (…) ont
également été modifiés (…) Néanmoins, elles sont moins précises que celles figurant dans la nouvelle version du RCP
de la capécitabine ».
Ces « nouvelles » recommandations viennent
donc contredire ce RCP européen
actualisé en avril 2018.
Elles contredisent
également les « trois recommandations professionnelles de bonne
pratique (RBP) » qui, toutes, sont en faveur du « génotypage ».
Ces RBP ont été élaborées, en 2017 et 2018, par trois sociétés
savantes/consortiums spécialisés en pharmacologie : la Royal dutch pharmacists association (KNMP) aux
Pays-Bas ; le Clinical
pharmacogenetics implementation consortium (CPIC) essentiellement en
Amérique du Nord ; le consortium
GPCO-Unicancer – RNPGx, en France.
Ces « nouvelles » recommandations
écartent ce génotypage tout en nous
précisant notamment ceci :
« Dans un contexte où il n’existe pas de consensus préalable fort quant à l’existence d’une méthode fiable de recherche » de ces déficits en DPD.
Elles indiquent
aussi que, parfois, le « recours au génotypage seul ne permet pas de savoir
si ces variants sont portés sur le même allèle ou non et une approche complémentaire par phénotypage de la DPD apparaît
donc nécessaire ». Une
telle complémentarité « phénotypage/génotypage » n’est pas sans
rappeler l’approche utilisée par l’équipe Angevine (ci-dessus mentionnée).
Il est surprenant
de ne voir recommandé que le seul phénotypage
tout en lisant dans ces recommandations que « indépendamment
de l’approche utilisée, toutes les
toxicités sévères, parfois létales, ne
peuvent être évitées via un examen systématique de l’activité fonctionnelle de l’enzyme DPD
(…) ». D’autant plus que ces recommandations sont venues confirmer le
fait que l’« antidote » (Vistogard® : triacétate d’uridine)
« ne peut constituer une alternative pour gérer » toutes les
toxicités graves : son intérêt reste très limité ; aucun stock
n’existe en France ou en Europe…
Ces « nouvelles » recommandations
relèvent le risque de « perte de chance » que
pourrait générer un diagnostic « faussement
positif ». Mais, elles ignorent
le même risque inhérent à un éventuel diagnostic « faussement négatif ».
Ces « nouvelles » recommandations
éclipsent au moins deux questions qui seraient inavouables. La première est
celle du prix. Ces recommandations ne
proposent aucune étude de coût et
notamment de coût-efficacité. À
l’inverse, une étude est notamment mise à disposition par l’équipe Angevine. Il
y a lieu de ne pas confondre le « mieux »
disant avec le « moins »
disant.
Et puis, nous
découvrons cette nouvelle expression inscrite dans une note en bas de la page
9 : « Les experts ont tous renseigné une déclaration d’intérêts dont l’analyse par l’INCa n’a pas mis en
évidence de risque de conflit d’intérêt majeur
en lien avec l’objet de l’expertise. » Les mots ont un sens. Et, en
l’espèce, le mot « majeur » pourrait prendre ici sa pleine dimension
en révélant la deuxième interrogation inavouable.
Ces « nouvelles » recommandations
prévoient déjà le fait qu’elles soient « susceptibles
d’évoluer ».
Dans la conclusion,
ces recommandations indiquent : « Les
experts consultés ont exprimé un consensus sur le fait qu’une approche phénotypique
est susceptible en théorie
d’identifier les patients présentant un déficit complet en DPD. » ;
« quelle que soit la méthode
employée pour cette recherche, aucune ne pourra permettre d’éviter toutes les
toxicités sévères ni létales » ; « aucune méthode n’est vraisemblablement en mesure d’identifier
tous les patients déficitaires en DPD, partiels ou complets, de façon fiable
sur le plan de la sensibilité et de la valeur prédictive positive »…
Par ces motifs, non exhaustifs, et en
pratique dans notre établissement
Ces « nouvelles »
recommandations sont-elles donc une avancée ou un recul en matière de sécurité
des patients concernés par ces traitements ?
Dans un article
publié, le 20 février 2018, par PARIS MATCH, le mari d’une patiente décédée
témoigne :
« (…) « Si ma femme avait été soignée à Angers, elle serait aujourd’hui à
côté de moi. Mais elle a été soignée à (…), et elle est décédée en moins de
quinze jours », explique (…) [le mari], dont l’épouse, atteinte d’un
cancer récidivant en septembre 2016, a succombé, après huit jours de coma, à sa
cure de chimiothérapie. (…) »
Si « aucune méthode n’est
vraisemblablement en mesure d’identifier tous les patients déficitaires en DPD,
partiels ou complets, de façon fiable sur le plan de la sensibilité et de la
valeur prédictive positive », réduire cette recherche à la seule
mesure de l’uracilémie pourrait constituer une
avancée pour les établissements, et les régions, en retard dans ce domaine (en
matière de dépistage).
Mais, pour les hôpitaux, tel que celui de Cholet
habitué au test Angevin, ces « nouvelles »
recommandations ne pourraient-elles pas s’apparenter à une stagnation du niveau
de qualité du test requis ; et au pire à un nivellement par le bas de la
qualité du dépistage demandé ? Car, rappelons-le, depuis de nombreuses
années, dans notre établissement, ce dépistage est effectué par la méthode, dite multiparamétrique, qui associe
le phénotypage au génotypage…
Par conséquent, il appartient aux
professionnels de santé concernés ainsi qu’à l’établissement de
décider eu égard à ces éléments et aux responsabilités encourues en pareilles
circonstances.
L’avis des patients
nous semble important. Une association de patients pense qu’il s’agit d’un
recul en matière de sécurité.
Enfin, n’oublions
pas de signaler tout effet indésirable, notamment grave tel qu’un décès, à la pharmacovigilance.
À lire aussi : nos 6
articles précédents sur ce sujet ont été publiés le : 28 février 2018 ;
22 février 2018 ; 15 février 2018 ; 11 février 2018 ; 19 janvier
2018 ; 21 septembre 2017. Ils sont accessibles à travers le lien suivant : cliquer ici