« Les députés
autorisent les pharmaciens à délivrer certains médicaments vendus jusqu’ici sur
ordonnance ».
Tel est le titre de l’article publié le 14 mars 2019 par le journal
Ouest-France. C’est cette même Assemblée nationale qui a rejeté, il y a encore
quelques semaines, la proposition de loi contenant « des mesures d’urgence contre la désertification médicale » ;
une proposition qui consiste à « réguler
l’installation de médecins et de les répartir harmonieusement sur le territoire
national ». Pour remédier à cette répartition déséquilibrée des
médecins sur le territoire national, ces députés veulent donc faire du pharmacien un « prescripteur ».
Cette idée
s’apparente à un glissement de tâche. Elle nous semble imprudente voire
dangereuse. Elle vient s’ajouter à d’autres glissements de tâches, illégaux, entre
professionnels de santé.
En tant que
pharmacien,
cette autorisation m’est, pour le moins, incompréhensible. Je ne peux
m’aventurer dans une telle voie. Car, la
« prescription » est un
acte qui relève de la compétence du médecin. Cette « prescription »
est un acte connecté au diagnostic que, seul, le médecin est
habilité à faire. Selon le code de la santé publique, le pharmacien « doit s’abstenir de formuler un
diagnostic sur la maladie au traitement de laquelle il est appelé à
collaborer » (article R.4235-63). Je ne souhaite pas participer à
cette dévalorisation d’un acte médical
aussi déterminant dans le traitement efficace et sécurisé d’une pathologie.
Pour tenter de nous
rassurer, les inventeurs de cette idée nous expliquent que cette « prescription pharmaceutique »
ne concernerait « que des
pathologies bénignes ». Or, un tel argument nous paraît profondément
perturbé sur le plan intellectuel. Car, établir
le caractère « bénin »
d’une pathologie est le résultat d’un diagnostic dûment conclu par le
médecin : ce constat est la conséquence du diagnostic et non pas
le déclencheur de ce diagnostic. Ce dernier ne peut être établi que par un
professionnel de santé ayant consacré de nombreuses années à étudier notamment
comment établir les diagnostics
différentiels entre diverses pathologies distinctes par des interfaces
subtiles et dont certaines sont en apparence bénignes. Le pharmacien,
lui, a consacré autant d’années d’études à la connaissance du médicament sous
ses différentes facettes. D’ailleurs, notre livre intitulé « Médicament : recadrage. Sans ton pharmacien, t’es
mort ! » met en évidence le
métier premier du pharmacien tel qu’il est consacré par l’article R.4235-48
du code de la santé publique : un rôle que nous considérons comme étant le
« corps de la solution » pour sécuriser le circuit du
médicament ; et non pas pour « jouer au médecin ou à
l’infirmier ».
Les promoteurs de
cette idée essayent également de nous rassurer en mettant en avant un « protocole mis en place par la Haute
autorité de santé (HAS) » qui pourrait guider le pharmacien lors du
diagnostic. Or, concernant l’évaluation des guides de cette HAS, seulement 6%
sont jugés « intéressants »
par notamment la revue indépendante Prescrire.
Celle-ci considère que ce « qualificatif
de "haute autorité" n’est toujours pas justifié ». Environ
21% de ces guides ont même « des
défauts majeurs ou susceptibles de nuire à la qualité des soins »
selon cette même revue.
Par ailleurs, celui qui prescrit ne devrait pas être
celui qui dispense (qui vend). Une telle séparation des pouvoirs nous semble la plus prudente, la plus efficiente et la plus éthique.
« Aucune consultation médicale ou vétérinaire ne
peut être donnée dans l’officine. Cette interdiction s’applique aussi aux
pharmaciens qui sont en même temps médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme ou
vétérinaire »
(article R.4235-66 du code de la santé publique).
Le code de la santé
publique garantit la sécurité et la
protection du public. Il invite le médecin et le pharmacien au dialogue. Il
répartit le rôle de chacun de ces deux acteurs du circuit du médicament en
fonction de leurs compétences respectives. Il ne saurait être détourné pour
répondre à des intérêts catégoriels et aux désirs des uns et des autres.
Agissons sur les causes du problème et évitons de dénaturer les professions de
santé.
Pour résoudre le
problème de fond, pourquoi ne pas conditionner
l’inscription à la faculté de médecine à une nouvelle règle non
rétroactive : l’encadrement de l’installation des futurs médecins. Un
jeune bachelier, qui est en désaccord avec cette règle, n’est nullement obligé
de devenir médecin : un métier investi d’une mission de service public et que l’on choisit, avant tout, par conviction.
Le pharmacien ne
devrait pas ignorer non plus ses
responsabilités, dont la responsabilité pénale, en pareilles circonstances.
« Souvent,
je m’éprouve moi-même lorsque je pense à ma responsabilité pénale !
Ainsi s’exclame le pharmacien Homais dans la plus célèbre des œuvres de Gustave
Flaubert, Madame Bovary. » (La
responsabilité pénale du pharmacien, Ordre national des pharmaciens).
Si le pharmacien
accepte
cette banalisation du diagnostic
médical, il ne faudrait alors pas s’étonner
de voir un centre commercial, tel que le magasin Leclerc, prétendre pouvoir réaliser l’acte de dispensation
pharmaceutique.
Chacun son rôle,
chacun sa place. Mais, ensemble. Pour la qualité et la sécurité des soins ainsi
que pour la maîtrise des coûts.
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