vendredi 15 février 2019

Cinéma, documentaire et débat. « Demain, tous crétins ? » : une introduction à la connaissance des perturbateurs endocriniens (un compte-rendu)


Comme annoncé, et notamment par Ouest-France (cf. article ci-dessous), le 12 février 2019, nous nous sommes retrouvés au cinéma de Beaupréau, une petite ville située dans le Maine-et-Loire à quelques kilomètres de Cholet. La séance s’est déroulée en trois temps : la projection du film « Demain, tous crétins ? » ; une intervention ; puis un échange avec le public. Ces quelques lignes viennent résumer les points forts de cette intervention concernant les perturbateurs endocriniens. D’ailleurs, le 15 janvier 2019, la presse faisait état de la stratégie des pouvoirs publics dans ce domaine : les professionnels de santé seraient en premier ligne sur cette question.
Dans ce documentaire, une scientifique affirme notamment ceci : « (…) Nous sommes dans une situation critique où il faut écouter les scientifiques. (…) L’industrie chimique peut s’adapter [aux] régulations. L’industrie peut innover et produire des molécules non toxiques. Sinon ? Sinon, nous allons probablement assister à la disparition de la structure la plus sophistiquée que l’évolution n’a jamais créée : le cerveau humain. (…). »
Ce film aborde aussi le lien entre la carence en iode et le crétinisme (avec une hypothyroïdie et un volumineux goitre).
Pour s’inscrire dans le prolongement de ce documentaire, il y a lieu de souligner que le déficit en iode constitue l’une des causes les plus fréquentes d’hypothyroïdie dans le monde. Dans certains pays d’Afrique et d’Amérique du Sud, certains aliments, tels que le manioc, aggravent cette carence iodée. C’est dire que la nature, elle-même, peut nous réserver parfois quelques surprises. Mais, là, il est question de centaines, voire de milliers, de substances chimiques créées par l’Homme. Des substances qui menacent l’harmonie de la santé humaine notamment.

Le cerveau n’est pas le seul organe menacé

« Sinon, nous allons probablement assister à la disparition de la structure la plus sophistiquée que l’évolution n’a jamais créée : le cerveau humain. (…) » peut-on entendre dans ce documentaire.
Or, les perturbateurs endocriniens menacent d’autres organes. Avec le temps, l’inquiétude s’est étendue aux troubles de la reproduction, à l’obésité, au diabète de type 2, aux troubles du comportement, etc.. Il nous semble important de rappeler certaines étapes qui ont permis l’identification de ce risque toxicologique si particulier. Notre exposé se limite au système reproducteur : le modèle le plus étudié.
Force est de constater que l’Homme n’est pas le seul concerné. Ce risque toxicologique a aussi un impact sur la faune sauvage. La perception de ce risque n’a d’ailleurs été possible que grâce au rapprochement des observations effectuées dans la faune sauvage de celles constatées dans l’espèce humaine.

Des observations dans la faune sauvage

Nous sommes à la première moitié du 20ème siècle. De nombreuses substances chimiques commencent à être utilisées dans l’industrie et dans l’agriculture. Ce que la faune sauvage n’apprécie guère.

Des oiseaux : un « Printemps silencieux »

La première alerte pourrait dater de 1962. Une biologiste américaine (Rachel Carson) publie un livre ainsi titré : Silent spring (Printemps silencieux). Dans plusieurs régions des États-Unis d’Amérique (USA), les oiseaux ne chantaient plus au printemps. Leur disparition alerte. Ce signal est corrélé avec la détection de résidus de pesticides synthétiques dans le sol, les rivières, la faune, chez l’Homme. La biologiste qualifie la menace de « volcan assoupi » dans la mesure où ces substances liposolubles (solubles dans l’huile) ont un pouvoir d’accumulation dans différents organes tels que les glandes surrénales, les testicules, la thyroïde…
La menace atteint d’autres animaux.

Des femelles de gastéropodes marins

Dans de nombreuses eaux côtières (USA, Royaume-Uni, France, Alaska, Asie du Sud-Est), les femelles de Gastéropodes marins acquièrent des caractères sexuels masculins. Ce qui provoque un déclin de cette population.
L’agent responsable est identifié en 1980. Il est utilisé dans les peintures anti-salissures pour bateaux : le TBT (tributylétain). Ce TBT a révélé des propriétés anti-estrogéniques.
La question de l’action délétère, sur le système endocrinien, de substances dotées de propriétés hormonales suscite de plus en plus l’intérêt des chercheurs.

Des alligators femelles et mâles

En Floride, trois ans après la contamination du lac Apopka par des effluents agricoles et par des polluants, il est observé une baisse significative du nombre de jeunes alligators peuplant ce lac. Ailleurs, la situation est normale.
Dans ce lac pollué, une concentration d’estradiol élevée et des malformations ovariennes sont relevées chez les femelles. Alors que chez les mâles, des pénis anormalement petits et de faibles taux de testostérone sont observés.
Cette pollution est due notamment au DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) dont les propriétés insecticides sont révélées dès 1938. C’est le premier de la famille des organo-chlorés utilisés en agroalimentaire.

Des poissons

Dans les eaux polluées par des rejets d’usines de pâte à papier ou de stations d’épuration, il est noté notamment une baisse des fonctions sexuelles, une féminisation des mâles. Dans ces eaux, plusieurs substances sont identifiées :

-     PCB (polychlorobiphényles) : une famille de plus de 200 composés utilisés, dès 1930, dans l’industrie électrique du fait de leur thermo-résistance et leur caractère non inflammable ;
-     Pesticides organo-chlorés (ci-dessus mentionnés) ;
-    Alkylphénols : utilisés dans divers secteurs industriels et dans des produits de grande consommation (cosmétique, nettoyants, peintures, etc.).

Des aigles pêcheurs

Une équipe suédoise démontre un lien entre la capacité de reproduction de ces aigles et le niveau des organo-chlorés mesuré dans leurs œufs.

Des mouettes

Dans différents endroits de la côte Ouest des USA, les mouettes se féminisent. L’agent responsable est le DDT.

Autres populations d’oiseaux

Les pélicans, les cormorans, les faucons, etc. sont également touchés par les effets néfastes du DDE (dichlorodiphényldichloroéthylène).

Des mammifères aussi : des loutres, des visons, des phoques, des ours

Les mammifères ne sont pas épargnés non plus. Des troubles de la reproduction sont enregistrés dans différents endroits : Europe, région des grands lacs d’Amérique du Nord, Mer baltique, région arctique… Les substances identifiées sont : PCB, dioxine, DDT…
Les scientifiques observent un pouvoir élevé de bioaccumulation et de biomagnification (ou bioamplification, ou bioconcentration : la matrice (telle que l’ours) devient plus contaminée que son propre environnement).
Parallèlement à ces constats relevés dans la faune sauvage, plusieurs événements signent l’alerte dans l’espèce humaine.

Parallèlement : des observations dans l’espèce humaine

Dès les années 1970, la nocivité des substances chimiques ayant des propriétés hormonales est découverte. Ces produits peuvent entraîner des maladies chez les hommes, les femmes, les enfants. Ils peuvent altérer les fonctions de reproduction. L’affaire du diéthylstilbestrol (DES ; DISTILBÈNE®) devient le modèle humain témoignant des conséquences graves possibles des substances chimiques dotées d’une activité estrogénique. Nous avons déjà présenté ce médicament, à titre d’exemple historique, lors de la troisième réunion d’information indépendante destinée au public ; réunion organisée le 22 novembre 2018 par le CTIAP du centre hospitalier de Cholet. Pour résumer cette affaire, il s’agit d’un médicament qui était utilisé dans plusieurs indications en gynécologie : fausses couches, acné, pilule du lendemain, cancer de la prostate, etc.. En 1971, une équipe de Boston émet l’hypothèse d’un lien entre ce médicament, pris pendant la grossesse, et la survenue, à l’âge de 15 ans à 22 ans, d’adénocarcinomes du vagin chez les filles nées de ces grossesses. La confirmation d’une fréquence élevée de malformations de l’utérus chez ces jeunes filles sera faite plus tard. Et les garçons ne sont pas épargnés non plus, même si leur cas était moins étudié.
Par ailleurs, d’autres affaires sont enregistrées. Elles concernent deux substances proches du DDT.
Le mirex (toxique sur la faune aquatique, tératogène, cancérogène) est interdit aux USA en 1976.
Un an plutôt, des travailleurs dans une usine de production de la Chlordécone (KEPONE®), usine située en Virginie, développent des atteintes neurologiques et testiculaires. Ce produit révèle, lui aussi, des propriétés estrogéniques. L’usine sera fermée. L’utilisation de ce produit, contre notamment le charançon du bananier, sera interdite en 1977.
Ces observations génèrent une inquiétude qui va s’étendre à toutes les substances chimiques environnementales ayant des propriétés hormonales.
Ce danger commun à la faune et à l’Homme est l’amorce des travaux initiés dans ce domaine.

Les perturbateurs endocriniens : un danger commun à la faune sauvage et à l’espèce humaine ; un domaine encore flou

Les connaissances des perturbateurs endocriniens restent encore relativement floues. Une telle incertitude est palpable à travers notamment les multiples définitions qui cherchent à décrire ce qu’est un perturbateur endocrinien ; ce qu’est un perturbateur endocrinien potentiel ; etc. :

« Une substance exogène qui entraîne des effets délétères sur un organisme vivant ou sa descendance résultant de changements dans la fonction endocrine. » 1996

« Un perturbateur endocrinien potentiel est une substance qui possède des propriétés qui pourraient conduire à une perturbation endocrinienne. »

« Une substance exogène qui interfère avec la production, la sécrétion, le transport, le métabolisme, la liaison, l’action ou l’élimination des hormones naturelles responsables de la maintenance de l’homéostasie et de la régulation des processus de développement. » 1997

Etc.

« Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances, qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)-populations. » OMS (organisation mondiale de la santé), 2002

« Un perturbateur endocrinien potentiel est une substance ou un mélange exogène, possédant des propriétés susceptibles d’induire une perturbation endocrinienne dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)-populations. » OMS (organisation mondiale de la santé), 2002

Lors de cette intervention, les mécanismes d’actions possibles, un peu techniques et relativement pointus, des perturbateurs endocriniens ont été expliqués.

La fin de l’exposé a été consacrée à la présentation du cas soulevé, il y a juste quelques jours, par plusieurs mamans qui ont alerté le CTIAP. Cette alerte, transmise à la pharmacovigilance, concerne « Des bébés exposés au BHT ». Notre réflexion sur ce sujet est disponible sur ce même site (article publié le 2 février 2019).

Enfin, cette rencontre s’est poursuivie par un échange avec le public.




Article d’Ouest-France du 24 janvier 2019









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