Comme annoncé, et notamment
par Ouest-France (cf. article ci-dessous), le 12 février 2019, nous nous sommes retrouvés au cinéma
de Beaupréau, une petite ville située dans le Maine-et-Loire à quelques
kilomètres de Cholet. La séance s’est déroulée en trois temps : la
projection du film « Demain, tous crétins ? » ; une
intervention ; puis un échange avec le public. Ces quelques lignes
viennent résumer les points forts de cette intervention concernant les perturbateurs endocriniens. D’ailleurs,
le 15 janvier 2019, la presse faisait état de la stratégie des pouvoirs publics
dans ce domaine : les professionnels de santé seraient en premier ligne
sur cette question.
Dans ce
documentaire, une scientifique affirme notamment ceci : « (…) Nous sommes dans une situation critique où il faut écouter
les scientifiques. (…) L’industrie chimique peut s’adapter [aux] régulations.
L’industrie peut innover et produire des molécules non toxiques. Sinon ?
Sinon, nous allons probablement assister
à la disparition de la structure la plus
sophistiquée que l’évolution n’a jamais créée : le cerveau humain. (…). »
Ce film aborde
aussi le lien entre la carence en iode
et le crétinisme (avec une hypothyroïdie et un volumineux goitre).
Pour s’inscrire
dans le prolongement de ce documentaire, il y a lieu de souligner que le
déficit en iode constitue l’une des causes les plus fréquentes d’hypothyroïdie
dans le monde. Dans certains pays d’Afrique et d’Amérique du Sud, certains
aliments, tels que le manioc,
aggravent cette carence iodée. C’est dire que la nature, elle-même, peut nous
réserver parfois quelques surprises. Mais, là, il est question de centaines,
voire de milliers, de substances chimiques créées par l’Homme. Des substances
qui menacent l’harmonie de la santé humaine notamment.
Le cerveau n’est pas le seul organe
menacé
« Sinon, nous allons probablement assister à la disparition de la structure la plus
sophistiquée que l’évolution n’a jamais créée : le cerveau humain. (…) » peut-on entendre dans ce
documentaire.
Or, les
perturbateurs endocriniens menacent d’autres organes. Avec le temps,
l’inquiétude s’est étendue aux troubles de la reproduction, à l’obésité, au diabète
de type 2, aux troubles du comportement, etc.. Il nous semble important de
rappeler certaines étapes qui ont permis l’identification de ce risque toxicologique si particulier.
Notre exposé se limite au système
reproducteur : le modèle le plus étudié.
Force est de
constater que l’Homme n’est pas le seul concerné. Ce risque toxicologique a
aussi un impact sur la faune sauvage.
La perception de ce risque n’a d’ailleurs été possible que grâce au rapprochement
des observations effectuées dans la faune sauvage de celles constatées dans
l’espèce humaine.
Des observations dans la faune sauvage
Nous sommes à la
première moitié du 20ème siècle. De nombreuses substances chimiques
commencent à être utilisées dans l’industrie et dans l’agriculture. Ce que la
faune sauvage n’apprécie guère.
Des oiseaux : un « Printemps silencieux »
La première alerte
pourrait dater de 1962. Une biologiste américaine (Rachel Carson) publie un
livre ainsi titré : Silent spring (Printemps silencieux). Dans plusieurs régions des États-Unis
d’Amérique (USA), les oiseaux ne chantaient plus au printemps. Leur disparition
alerte. Ce signal est corrélé avec la détection de résidus de pesticides
synthétiques dans le sol, les rivières, la faune, chez l’Homme. La biologiste
qualifie la menace de « volcan
assoupi » dans la mesure où ces substances liposolubles (solubles dans l’huile) ont un pouvoir d’accumulation
dans différents organes tels que les glandes surrénales, les testicules, la
thyroïde…
La menace atteint
d’autres animaux.
Des femelles de gastéropodes marins
Dans de nombreuses
eaux côtières (USA, Royaume-Uni, France, Alaska, Asie du Sud-Est), les femelles
de Gastéropodes marins acquièrent des caractères sexuels masculins. Ce qui
provoque un déclin de cette population.
L’agent responsable
est identifié en 1980. Il est utilisé dans les peintures anti-salissures pour
bateaux : le TBT (tributylétain). Ce TBT a révélé des propriétés
anti-estrogéniques.
La question de
l’action délétère, sur le système endocrinien, de substances dotées de
propriétés hormonales suscite de plus en plus l’intérêt des chercheurs.
Des alligators femelles et mâles
En Floride, trois
ans après la contamination du lac Apopka par des effluents agricoles et par des
polluants, il est observé une baisse significative du nombre de jeunes
alligators peuplant ce lac. Ailleurs, la situation est normale.
Dans ce lac pollué,
une concentration d’estradiol élevée et des malformations ovariennes sont
relevées chez les femelles. Alors que chez les mâles, des pénis anormalement
petits et de faibles taux de testostérone sont observés.
Cette pollution est
due notamment au DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) dont les propriétés
insecticides sont révélées dès 1938. C’est le premier de la famille des
organo-chlorés utilisés en agroalimentaire.
Des poissons
Dans les eaux
polluées par des rejets d’usines de pâte à papier ou de stations d’épuration,
il est noté notamment une baisse des fonctions sexuelles, une féminisation des
mâles. Dans ces eaux, plusieurs substances sont identifiées :
- PCB
(polychlorobiphényles) : une famille de plus de 200 composés utilisés, dès
1930, dans l’industrie électrique du fait de leur thermo-résistance et leur
caractère non inflammable ;
- Pesticides
organo-chlorés (ci-dessus mentionnés) ;
- Alkylphénols :
utilisés dans divers secteurs industriels et dans des produits de grande
consommation (cosmétique, nettoyants, peintures, etc.).
Des aigles pêcheurs
Une équipe suédoise
démontre un lien entre la capacité de reproduction de ces aigles et le niveau
des organo-chlorés mesuré dans leurs œufs.
Des mouettes
Dans différents
endroits de la côte Ouest des USA, les mouettes se féminisent. L’agent
responsable est le DDT.
Autres populations d’oiseaux
Les pélicans, les cormorans,
les faucons, etc. sont également touchés par les effets néfastes du DDE
(dichlorodiphényldichloroéthylène).
Des mammifères aussi : des loutres, des visons,
des phoques, des ours
Les mammifères ne
sont pas épargnés non plus. Des troubles de la reproduction sont enregistrés
dans différents endroits : Europe, région des grands lacs d’Amérique du
Nord, Mer baltique, région arctique… Les substances identifiées sont :
PCB, dioxine, DDT…
Les scientifiques
observent un pouvoir élevé de bioaccumulation et de biomagnification (ou bioamplification,
ou bioconcentration : la matrice (telle que l’ours) devient plus
contaminée que son propre environnement).
Parallèlement à ces
constats relevés dans la faune sauvage, plusieurs événements signent l’alerte
dans l’espèce humaine.
Parallèlement : des observations
dans l’espèce humaine
Dès les années
1970, la nocivité des substances chimiques ayant des propriétés hormonales est
découverte. Ces produits peuvent entraîner des maladies chez les hommes, les
femmes, les enfants. Ils peuvent altérer les fonctions de reproduction.
L’affaire du diéthylstilbestrol
(DES ; DISTILBÈNE®) devient le modèle humain témoignant des
conséquences graves possibles des substances chimiques dotées d’une activité
estrogénique. Nous avons déjà présenté ce médicament, à titre d’exemple
historique, lors de la troisième réunion d’information indépendante destinée au
public ; réunion organisée le 22 novembre 2018 par le CTIAP du centre
hospitalier de Cholet. Pour résumer cette affaire, il s’agit d’un médicament
qui était utilisé dans plusieurs indications en gynécologie : fausses
couches, acné, pilule du lendemain, cancer de la prostate, etc.. En 1971, une
équipe de Boston émet l’hypothèse d’un lien entre ce médicament, pris pendant
la grossesse, et la survenue, à l’âge de 15 ans à 22 ans, d’adénocarcinomes du
vagin chez les filles nées de ces grossesses. La confirmation d’une fréquence
élevée de malformations de l’utérus chez ces jeunes filles sera faite plus
tard. Et les garçons ne sont pas épargnés non plus, même si leur cas était
moins étudié.
Par ailleurs,
d’autres affaires sont enregistrées. Elles concernent deux substances proches
du DDT.
Le mirex (toxique sur la faune aquatique,
tératogène, cancérogène) est interdit aux USA en 1976.
Un an plutôt, des
travailleurs dans une usine de production de la Chlordécone (KEPONE®), usine située en Virginie, développent des
atteintes neurologiques et testiculaires. Ce produit révèle, lui aussi, des
propriétés estrogéniques. L’usine sera fermée. L’utilisation de ce produit,
contre notamment le charançon du bananier, sera interdite en 1977.
Ces observations
génèrent une inquiétude qui va s’étendre à toutes les substances chimiques
environnementales ayant des propriétés hormonales.
Ce danger commun à
la faune et à l’Homme est l’amorce des travaux initiés dans ce domaine.
Les perturbateurs endocriniens : un
danger commun à la faune sauvage et à l’espèce humaine ; un domaine encore
flou
Les connaissances
des perturbateurs endocriniens restent encore relativement floues. Une telle
incertitude est palpable à travers notamment les multiples définitions qui
cherchent à décrire ce qu’est un perturbateur endocrinien ; ce qu’est un
perturbateur endocrinien potentiel ; etc. :
« Une substance exogène qui entraîne des effets
délétères sur un organisme vivant ou sa descendance résultant de changements
dans la fonction endocrine. » 1996
« Un perturbateur endocrinien potentiel est une substance qui possède des propriétés qui
pourraient conduire à une perturbation endocrinienne. »
« Une substance exogène qui interfère avec la
production, la sécrétion, le transport, le métabolisme, la liaison, l’action ou
l’élimination des hormones naturelles responsables de la maintenance de
l’homéostasie et de la régulation des processus de développement. » 1997
Etc.
« Un perturbateur endocrinien est une substance ou
un mélange de substances, qui altère les fonctions du système
endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme
intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)-populations. » OMS (organisation mondiale de la santé), 2002
« Un perturbateur endocrinien potentiel est une substance ou un mélange exogène, possédant des
propriétés susceptibles d’induire une perturbation endocrinienne dans un
organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)-populations. » OMS (organisation mondiale de la santé), 2002
Lors de cette intervention,
les mécanismes d’actions possibles,
un peu techniques et relativement pointus, des perturbateurs endocriniens ont
été expliqués.
La fin de l’exposé
a été consacrée à la présentation du cas soulevé, il y a juste quelques jours, par
plusieurs mamans qui ont alerté le CTIAP. Cette alerte, transmise à la
pharmacovigilance, concerne « Des bébés exposés au BHT ».
Notre réflexion sur ce sujet est disponible sur ce même site (article publié le
2 février 2019).
Enfin, cette
rencontre s’est poursuivie par un échange avec le public.
Article d’Ouest-France du 24 janvier 2019
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire