À l’heure où la
question de « l’information des patients et des professionnels de
santé » semble être, à nouveau, à l’ordre du jour, le CTIAP propose le cas pratique suivant. Ce dernier pourrait
mettre en évidence notamment ceci : la divergence des informations émanant de sources reconnues ; parfois
même, l’information figurant dans la notice-patient n’est pas libellée de façon exactement identique
à celle disponible dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP, version VIDAL®) qui est destiné aux professionnels de santé ; etc.
La lamotrigine (LAMICTAL® ou autre) est un
médicament utilisé dans l’épilepsie et les troubles bipolaires. Le CTIAP est
saisi de la question suivante posée par un pédopsychiatre.
Question d’un pédopsychiatre
« Cher confrère,
Je recherche des informations à savoir si, comme pour
la DÉPAKINE [acide valproïque], des études ont montré la responsabilité du
LAMICTAL [lamotrigine] pris pendant la grossesse sur les troubles
autistiques de l’enfant à venir.
Pouvez-vous m’aider ?
(…) »
Extrait de la réponse proposée
par le CTIAP
Les recherches
effectuées ont permis d’accéder notamment aux données suivantes.
Résumé des caractéristiques du produit
(RCP), version papier du VIDAL® 2018
Concernant le
risque lié à la lamotrigine pendant la grossesse, les mentions légales
indiquent notamment que « l’analyse
d’un nombre élevé de données chez les femmes exposées à la lamotrigine en
monothérapie pendant le premier trimestre de grossesse (plus de 8700) n’a pas
mis en évidence d’augmentation substantielle du risque de malformations
congénitales majeures y compris les fentes labio-palatines. Les études chez
l’animal ont montré une toxicité sur le développement (…) La lamotrigine (…)
pourrait (…) théoriquement conduire à un risque accru de préjudices
embryofoetaux par diminution des taux d’acide folique (…) ».
Ce RCP ne semble pas intégrer les éléments publiés
dans un rapport établi conjointement, en
juin 2018, par l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament) et par
la Caisse nationale d’assurance maladie.
Rapport de l’ANSM et de l’Assurance maladie
de juin 2018
Dans ce document
intitulé « Risque de troubles
neuro-développementaux précoces (avant l’âge de 6 ans) associé à l’exposition
in utero à l’acide valproïque et aux autres traitements de l’épilepsie en
France », il est indiqué, concernant l’ensemble de la population
d’étude, que « l’incidence des
diagnostics de troubles mentaux et du comportement (toutes catégories de
diagnostics confondues) au cours du suivi était plus élevée parmi les enfants exposés à la lamotrigine pendant la
grossesse que parmi les enfants non exposés (…) Cette différence concernait
les catégories de diagnostics « retard
mental » (…) et « troubles
du développement psychologiques » (…) En revanche, l’incidence des
diagnostics des catégories « troubles envahissants du développement »
et « troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant
habituellement durant l’enfance et l’adolescence » ne différait pas
significativement entre les enfants exposés à la lamotrigine et les enfants non
exposés. » Cette étude de cohorte a permis à l’ANSM et à l’Assurance
maladie d’affirmer qu’« après ajustement sur les
caractéristiques sociodémographiques, les indicateurs de santé maternelle et
les caractéristiques du nouveau-né, les
enfants exposés à la lamotrigine pendant la grossesse avaient un risque global de diagnostic de
troubles mentaux et du comportement au cours du suivi 1,6 fois plus élevé que les enfants non exposés (…) Le risque de « retard mental »
était 2,4 fois plus élevé parmi les enfants exposés à la lamotrigine
comparé aux enfants non exposés (…) et le
risque de « troubles du développement psycholgique » 1,5 fois plus
élevé (…) ».
Ces données ne
semblent pas être intégrées, non plus, dans la fiche publiée par le CRAT
(centre de référence sur les agents tératogènes). Une fiche mise à jour le 22
février 2017 (soit avant la publication de ce rapport).
Avis du CRAT (centre de référence sur les
agents tératogènes), fiche mise à jour le 22 février 2017
Selon ce Centre,
les « données publiées chez les
femmes exposées à la lamotrigine en cours de grossesse sont très nombreuses et rassurantes », la lamotrigine « n’est pas tératogène chez
l’animal », et concernant l’aspect neuro-comportemental, le CRAT
soutient qu’« à ce jour,
l’exposition in utero à la lamotrigine ne provoque pas de répercussion
neuro-comportementale particulière lors du suivi jusqu’à l’âge de 7,5 ans
environ des enfants exposés ».
Mais, une méta-analyse sème le doute.
Une méta-analyse publiée en 2017 : en
faveur d’une augmentation du risque d’autisme
En 2017, un article est publié, par A. A. Veroniki et
al., sous le titre suivant : « Comparative
safety of antiepileptic drugs for neurological development in children exposed
during pregnancy and breast feeding : a systematic review and network
meta-analysis ». Cette méta-analyse suggère une augmentation du risque
d’autisme après exposition in utero à la lamotrigine :
« Conclusions Valproate alone or combined
with another AED (antiepileptic drug) is associated with the greatest odds of
adverse neurodevelopmental outcomes compared with control. Oxcarbazepine and lamotrigine were associated with
increased occurrence of autism. Counselling is advised for women
considering pregnancy to tailor the safest regimen. »
Ces nouvelles données sur les risques liés à
la lamotrigine : non intégrées dans le RCP, version papier du VIDAL® 2018 et version informatique du site internet de l’ANSM (Base de données publique des
médicaments – consultée le 4 septembre 2018 -)
Les éléments
publiés, par l’ANSM et l’Assurance maladie en juin 2018 (cf. ci-dessus), ainsi
que la conclusion de cette méta-analyse (suggérant une augmentation du risque
d’autisme après exposition durant la grossesse), ne semblent pas, non plus,
avoir été intégrés au RCP sous sa version notamment informatique disponible sur
le site internet de l’ANSM : soit dans la « Base de données publique
des médicaments ».
Base de données
publique des médicaments : Deux dates de mise à jour différentes
sur le même document
Le RCP disponible
sur ce site internet (« Base de données publique des médicaments ») indique
deux dates de mise à jour différentes : « Dernière mise à jour le 07/08/2018 » et « ANSM – Mis à jour le :
16/03/2018 ». Ces mêmes datent figurent également sur la page livrant
la « notice patient ».
Concernant le risque relatif aux fentes
labio-palatines
Comme déjà indiqué
ci-dessus, le RCP affirme que « l’analyse
d’un nombre élevé de données chez les femmes exposées à la lamotrigine en
monothérapie pendant le premier trimestre de grossesse (plus de 8700) n’a pas mis en évidence d’augmentation
substantielle du risque de malformations congénitales majeures y compris les fentes labio-palatines (…) ».
La « notice
patient », elle, disponible sur le site internet de l’ANSM (« Base
de données publique des médicaments »), indique une formulation
différente : « Il existe un faible risque d’augmentation de malformations congénitales incluant des fentes labiales ou des fentes
palatines, si LAMICTAL est pris au cours des 3 premiers mois de grossesse. »
Ce risque n’est pas
évoqué dans la fiche publiée par le CRAT.
Avis de la revue Prescrire
Pour sa part, en
2009, la revue Prescrire soutenait que « la
plupart des données sont rassurantes quant au taux global de malformations
liées à la lamotrigine, hormis un doute sur des fentes labio-palatines. Les
effets indésirables sur le développement psychomoteur sont inconnus ».
Cette revue ajoutait qu’« en janvier
2009, aucune information n’était disponible dans (…) sur les conséquences à
long terme d’une exposition in utero à la lamotrigine ».
Conclusion
Il est donc
indispensable de bien étudier le rapport bénéfice/risque
d’un médicament avant de le prescrire.
Il est aussi
nécessaire de bien informer la patiente
afin que cette dernière puisse donner, ou non, son consentement libre et
éclairé.
Répondre à la
question posée nécessite la réalisation d’autres études surtout
épidémiologiques. Il y a lieu de rappeler que le risque tératogène de tel ou tel médicament est souvent lent à être identifié. Les exemples du thalidomide, du diéthylstilbestrol, de l’acide
valproïque, des antidépresseurs
inhibiteurs dits sélectifs de la recapture de la sérotonine, etc. le démontrent. Le rôle des agents tératogènes, dont
les médicaments, serait probablement sous-estimé
comme le laisse penser notamment une étude américaine publiée en 2017 et
commentée en avril 2018 par la revue Prescrire. Selon cette étude, 80% des malformations congénitales
n’ont pas de cause identifiée dans
les dossiers médicaux des mères ou des enfants.
Par ailleurs, les données observées lors des
expérimentations chez l’animal
peuvent avoir une valeur d’alerte.
Comme déjà indiqué ci-dessus, le RCP du LAMICTAL® (lamotrigine) précise que les
« études chez l’animal ont montré
une toxicité sur le développement
(…) ». Mais, ces données chez l’animal sont difficiles à interpréter
et à transposer chez l’Homme.
Rappel aux patients
Il est rappelé aux
patients qu’il ne faut pas arrêter son traitement sans l’avis du médecin.
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