lundi 3 juillet 2017

Lien entre sclérose en plaques et vaccination contre l’hépatite B : évolution du mode de preuve en justice


À l’heure où Madame la ministre de la santé réfléchit à rendre certains vaccins obligatoires dont celui contre l’hépatite B, la cour de justice de l’union européenne (CJUE) vient livrer un arrêt en date du 21 juin 2017 (N.W e.a. c/ Sanofi Pasteur e.a. ; affaire C-621-15). Désormais, l’absence de certitude scientifique n’est plus un obstacle pour établir un défaut(1) du vaccin et le lien de causalité entre l’administration de ce vaccin et la survenue d’un effet indésirable. Désormais, une simple présomption pourrait suffir.

Faits

Dans cette affaire, Monsieur W. se voit administrer un vaccin contre l’hépatite B, produit par Sanofi Pasteur, en trois injections successives : 26 décembre 1998, 29 janvier 1999 et 8 juillet 1999.
En août 1999, Monsieur W. commence à présenter divers troubles.
En novembre 2000, le diagnostic de sclérose en plaques est établi.
Le 1er mars 2005, des experts judiciaires concluent : depuis le 20 janvier 2001, cette sclérose en plaques ne permettait plus à Monsieur W. d’exercer une activité professionnelle. Puis, l’état de Monsieur W. s’aggrave progressivement jusqu’à atteindre un déficit fonctionnel de 90% nécessitant la présence constante d’une tierce personne.
Monsieur W. décède le 30 octobre 2011.

Une longue procédure interne : devant la justice française

Introduction de la demande

Dès 2006, la justice est saisie notamment par Monsieur W. et trois membres de sa famille. Les requérants (plaignants) souhaitent voire Sanofi Pasteur condamné à indemniser les préjudices imputés à ce vaccin contre l’hépatite B. Ils fondent leur demande sur deux éléments : d’une part la concomitance entre la vaccination et l’apparition de la sclérose en plaques ; et d’autre part, l’absence d’antécédents personnels et familiaux relatifs à cette maladie. Ces deux éléments font naître, selon eux, des présomptions graves, précises et concordantes qui permettent d’établir l’existence : 1°) d’un défaut du vaccin ; 2°) d’un lien de causalité entre l’injection du vaccin et l’apparition de la sclérose en plaques.
En France, l’appréciation de ces présomptions relève du pouvoir souverain du juge du fond.

Premières décisions des juges du fond

Le 4 septembre 2009, le tribunal de grande instance de Nanterre accueille la demande des plaignants.
Le 10 février 2011, ce jugement est infirmé (annulé) par la cour d’appel de Versailles qui reconnaît l’existence d’un lien de causalité entre l’injection du vaccin et la survenue de la maladie mais, elle rejette l’existence d’un défaut du vaccin.

Premier pourvoi en cassation

La cour de cassation est saisie d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles.
Le 26 septembre 2012, la haute juridiction annule cet arrêt car elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir examiné « si les circonstances particulières qu’elle avait ainsi retenues » pour établir le lien de causalité « ne constituaient pas également des présomptions graves, précises et concordantes de nature à établir » aussi « le caractère défectueux de ce vaccin ». Elle renvoie alors l’affaire à une autre cour d’appel (de Paris).

Seconde décision du juge du fond : position de la cour d’appel de Paris

Le 7 mars 2014, la cour d’appel de Paris annule le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre et rejette la demande de Monsieur W. Cette cour d’appel relève plusieurs points. Selon cette cour :
-     Il n’existait pas de consensus scientifique en faveur de l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination contre l’hépatite B et la survenance de la sclérose en plaques. Et l’ensemble des autorités sanitaires nationales et internationales ont écarté l’association entre un risque d’atteinte démyélinisante centrale ou périphérique (caractéristique de la sclérose en plaques) et une telle vaccination ;
-     Il ressort de multiples études médicales que l’étiologie de la sclérose en plaques est actuellement inconnue ;
-     Une récente publication médicale aurait conclu que, lors de l’apparition des premiers symptômes de la sclérose en plaques, le processus physiopathologique a probablement commencé plusieurs mois, voire plusieurs années, auparavant ;
-     Enfin, des études épidémiologiques indiquaient que 92 à 95% des personnes atteintes de cette maladie n’ont aucun antécédent de ce type dans leurs familles.
Cette cour d’appel conclut donc que les « critères de la proximité temporelle entre la vaccination et les premiers symptômes et de l’absence d’antécédents personnels et familiaux invoqués par Monsieur W. e.a. ne pouvaient constituer, ensemble ou séparément, des présomptions graves, précises et concordantes permettant de conclure à l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination et la maladie concernées ».
La cour de cassation est alors, à nouveau, saisie d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt rendu par cette seconde cour d’appel (de Paris).

Second pourvoi en cassation

Saisie de ce nouveau pourvoi, la cour de cassation doute et décide, cette fois, de surseoir à statuer (attendre avant de juger) et de poser d’abord des questions de droit à la CJUE (questions préjudicielles).

Procédure européenne : devant la CJUE

Le 12 novembre 2015, la cour de cassation saisit la CJUE de ces questions de droit.
Elle interroge la CJUE pour savoir si notamment le juge peut se baser sur des indices graves, précis et concordants pour établir le défaut d’un vaccin et le lien de causalité entre ce vaccin et la maladie ? Et cela malgré l’absence d’un consensus scientifique et compte tenu du fait qu’il appartient à la victime de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité.

Réponse de la CJUE : arrêt du 21 juin 2017

Le 21 juin 2017, la CJUE rend son arrêt sur le fondement de la directive 85/374/CEE du Conseil (du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.)
De cette réponse, il ressort que lorsque la science hésite, certains éléments de fait invoqués par le plaignant constituent des « indices graves, précis et concordants ».
Ces derniers permettent de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie.
Dans cette affaire, ces indices, souverainement appréciés par le juge du fond, sont a priori au nombre de trois :
1.  Une proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie. C’est l’imputabilité chronologique utilisée en pharmacovigilance ;
2.  L’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux, en relation avec cette maladie ;
3.  L’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations. Autrement dit, il s’agit du critère bibliographique retenu en pharmacovigilance.
Si ces trois indices sont réunis, une juridiction nationale (française en l’espèce) pourrait considérer que la victime a versé la preuve requise (elle a satisfait à la charge de la preuve qui pèse sur elle en vertu de l’article 4 de ladite directive).
C’est, par exemple, le cas où ces indices conduisent le juge à considérer que, d’une part l’administration du vaccin constitue l’explication la plus plausible de la survenance de la maladie et, d’autre part ce vaccin n’offre dès lors pas, au sens de l’article 6 de cette directive, la sécurité légitimement attendue.
Finalement, la « preuve certaine issue de la recherche médicale » n’est plus le seul mode de preuve recevable. Car, elle aurait notamment pour effet de rendre, dans un nombre important de situations, excessivement difficile ou impossible la mise en cause de la responsabilité du producteur du vaccin. Et par conséquent, elle compromettrait, selon la CJUE, l’effet utile de la directive, la juste répartition des risques entre la victime et le laboratoire, ainsi que la protection de la sécurité et de la santé des consommateurs.

Questions en suspens

Un produit réputé « défectueux », selon les juges, devrait-il continuer à être commercialisé au motif que le risque pour la santé n’est pas prouvé scientifiquement ?
Rendre ce vaccin obligatoire ne pourrait-il pas faire basculer la responsabilité du laboratoire pharmaceutique vers celle de l’État (solidarité nationale) ?
Il reste à attendre d’une part la décision de Madame la ministre de la santé, et d’autre part la place que les juridictions françaises réserveront à cette décision de la CJUE.


(1)N.B. : Définition de la notion de « défaut » du vaccin, notamment, au sens de l’article 6 de ladite directive

 La CJUE rappelle :
« Ainsi qu’il ressort de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, est défectueux un produit qui n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances et, notamment, de la présentation de ce produit, de l’usage de celui-ci qui peut être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Conformément au sixième considérant de la même directive, il convient d’effectuer cette appréciation au regard des attentes légitimes du grand public. »






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