Le PRADAXA®
(dabigatran étexilate) est l’un des « nouveaux » médicaments
anticoagulants oraux.
En premier lieu, le
lecteur est invité à se rappeler la mise au point effectuée, le 11 décembre
2013, suite au désordre entourant la commercialisation de ces anticoagulants
oraux directs. Ils ont été mis en circulation alors qu’ils n’ont pas
d’antidotes, notamment. Ce qui rend délicat la gestion d’une hémorragie et
complique la prise en charge d’un patient qui nécessite une chirurgie en
urgence. (Cliquer ici)
Et voilà qu’en
2016, après une mise à disposition dans le cadre d’une ATU (autorisation
temporaire d’utilisation) de cohorte fin 2015, l’« antidote » du
PRADAXA®, tant attendu, arrive sur le marché. Cet antidote est le PRAXBIND® (idarucizumab). Il est
produit par la technologie d’ADN (acide désoxyribonucléique) recombinant dans
des cellules ovariennes de hamsters chinois. Il ne concerne pas les autres
anticoagulants (apixaban, rivaroxaban) qui sont toujours en attente d’un
antidote.
Cet
« antidote » (PRAXBIND®) a bénéficié d’une procédure accélérée pour l’obtention de son autorisation de mise
sur le marché (AMM). Mais, cette AMM appelle plusieurs interrogations.
Un premier risque :
confusion avec un autre médicament
Les cinq premières
lettres de cette dénomination commune internationale (idarucizumab) rappellent celles d’un autre médicament :
idarubicine (ZAVEDOS®).
Il y a donc lieu
d’être vigilant pour éviter une éventuelle confusion d’autant plus que ces deux
produits se conservent au réfrigérateur (entre 2°C et 8°C). Ce risque peut être
majoré par l’utilisation de certains logiciels de prescription informatisée qui
conduiraient le prescripteur à sélectionner le mauvais médicament dans un menu
déroulant.
Le profil des
effets indésirables : une discordance d’appréciations entre les autorités ad hoc
Les mêmes
informations semblent être différemment interprétées par les différentes
autorités.
Dans son avis rendu
le 25 mai 2016, la commission de la transparence de la haute autorité de santé
(HAS)
indique notamment que « 29 patients
(23,6%) étaient sortis prématurément de
l’étude, principalement en raison d’un événement
indésirable ayant conduit au décès
(…) » ; que « les EI [effets
indésirables] les plus fréquents ont été hypokaliémie (…) délire (…) constipation
(…), fièvre (…) et pneumonie (…). » ; que « les EI [effets indésirables] rapportés étaient graves chez
53 patients (…) » ; que « cinq
patients ont eu au moins un EI [effet indésirable] qui a été considéré par l’investigateur comme imputable au traitement dont (…) 1 cas d’arrêt cardiaque fatal (…) » ; que « parmi ces décès, un cas a été considéré
par l’investigateur comme possiblement imputable
à PRAXBIND (…) » ; etc.
Mais dans la
rubrique « EFFETS INDÉSIRABLES » du dictionnaire VIDAL® (résumé des
caractéristiques du produit - RCP -) de 2016, il est étonnant de lire : « Aucun effet indésirable n’a été
identifié. » ! L’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM)
semble s’aligner sur la position de l’agence européenne (EMA). Celle-ci n’a retenu aucun
lien de causalité avec l’idarucizumab
alors même que, et comme le relève la HAS, « le
rapport d’étude clinique mentionne que sept événements indésirables chez 5
patients ont été considérés par l’investigateur comme imputables à PRAXBIND®, dont 1 décès
(arrêt cardiaque le jour de l’injection (…) et 1 cas de thrombus (…) ».
Ce n’est que dans
une autre rubrique, située quatorze paragraphes plus loin, que ce VIDAL®
reprend certains des effets indésirables soulignés par la HAS. Une maigre liste
qui, en pratique, aurait peu de chance d’être consultée.
Des céphalées ont
également été décrites.
Le VIDAL® indique
aussi : « CONTRE-INDICATIONS :
aucune ». Tout en soulignant dans la rubrique « MISES EN GARDE / PRÉCAUTIONS D’EMPLOI » les risques
liés notamment à une « hypersensibilité »
et à l’« intolérance héréditaire au
fructose » pouvant entraîner le « décès »…
Un excipient
potentiellement mortel
Chaque flacon de
PRAXBIND® contient 2g d’un excipient à effet notoire : le sorbitol.
Dans le corps
humain, ce sorbitol est transformé en fructose. À la posologie retenue par
l’AMM, la dose de sorbitol injectée peut provoquer des réactions graves voire mortelles chez environ 10% des patients
souffrant de ladite intolérance héréditaire au fructose.
Mise en avant d’un
mécanisme d’action au détriment des résultats cliniques
Un exemple pour comprendre la suite : chez un
patient diabétique, par exemple, à quoi sert un médicament qui ne fait que
baisser le taux de sucre dans le sang (glycémie) [critère intermédiaire] si ce
médicament est incapable de prévenir les complications liées au diabète
[morbidité] et s’il ne peut réduire la [mortalité] ? Or, une des astuces publicitaires classiques visant
à présenter, favorablement, un nouveau médicament consiste d’abord à imaginer un
mécanisme d’action physiopathologique plausible pour expliquer comment agit ce
produit ; et de le tester ensuite uniquement sur un critère
intermédiaire ; sans apporter la preuve d’une efficacité sur des critères
cliniques de morbi-mortalité.
Un des documents
faisant la publicité du PRAXBIND® indique justement ceci : « Découvrez le mécanisme d’action de la
nouvelle spécialité Praxbind®, l’agent de réversion spécifique de
Pradaxa® ».
Aussi séduisant
soit-il, le mécanisme d’action d’un médicament ne saurait constituer une preuve
d’un effet clinique significatif.
Les critères
principaux d’évaluation du PRAXBIND® sont des tests biologiques et le VIDAL®
nous en fournit quelques courbes. La HAS relève d’ailleurs que « le critère principal de jugement
utilisé, fondé sur un test de la coagulation, n’est pas un critère de substitution validé. Le choix d’un critère principal clinique eut été plus pertinent. »
Une efficacité
clinique non démontrée : une autorisation de mise sur le marché (AMM)
avant la fin de l’essai clinique en cours
L’AMM a été
délivrée alors que l’étude clinique de phase III n’est pas encore achevée. Le PRAXBIND®
est mis sur le marché sur le fondement de quelques données issues principalement
d’une analyse intermédiaire de cet essai clinique non comparatif. Dans
certaines situations, le schéma posologique laisse même des questions en
suspens.
Cette étude de
phase III prévoit le recrutement de 500 patients au final.
Un essai clinique de
phase III avec un faible nombre de patients
Au total, seulement 500
patients sont prévus dans cet essai clinique. Alors qu’en général, il
faudrait environ :
- le double (1000
sujets exposés) pour voir apparaître 1 effet indésirable dont l’incidence est
de 1/100 ;
- 5000 sujets pour
pouvoir observer 1 effet indésirable dont l’incidence est de 1/500 ;
- 10.000 sujets pour
espérer détecter 1 effet indésirable dont l’incidence est de 1/1000 ;
- Etc.
Que penser de cette
analyse intermédiaire menée chez 123 patients ?
Risques liés aux
modalités de conservation du PRAXBIND®
À température
ambiante, le produit n’a qu’une courte stabilité physicochimique. Il présente
un risque sérieux de contamination microbienne. « En cas d’utilisation non immédiate, les durées et conditions de
conservation avant utilisation relèvent de la seule responsabilité de l’utilisateur »
précisent les mentions légales.
En pratique
Le rapport bénéfice/risque
du PRAXBIND® est insuffisamment évalué. Son efficacité clinique n’est pas
établie. Son profil d’effets indésirables est mal connu.
Sa commercialisation
prématurée ne devrait pas encourager les professionnels de santé à banaliser
l’utilisation du PRADAXA® et à faire de ce dernier un anticoagulant de
référence. (Cliquer ici)
La HAS considère
d’ailleurs que cet antidote « n’apporte pas d’amélioration du service
médical rendu (ASMR V) dans la
stratégie thérapeutique actuelle qui comprend les traitements symptomatiques,
chez les patients adultes traités par PRADAXA (dabigatran étexilate) quand une
réversion rapide de ses effets anticoagulants est requise pour une urgence
chirurgicale ou des procédures urgentes ou en cas de saignements menaçant le
pronostic vital ou incontrôlés. »
Il semblerait enfin,
selon la HAS, qu’aucune autre étude clinique nouvelle n’est prévue. Mais,
peut-être que ladite étude serait déjà en train de se réaliser dans la vraie
vie et de façon sauvage : un « essai clinique grandeur nature »,
à large échelle, qui ne manquerait pas de nous livrer quelques informations
dans le cadre de la pharmacovigilance. Cette dernière étant la phase IV d’évaluation
du médicament. Tout patient recevant un tel « antidote » deviendrait,
de fait et malgré lui, un « Homme-cobaye ».
À suivre.
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