mercredi 1 février 2017

Décès d’un nourrisson et UVESTÉROL®D (suite) : réponse de l’ANSM et nouvel article de la revue Prescrire


Suite à notre article, intitulé « Décès d’un nourrisson et UVESTÉROL®D : et si c’était lié à l’un des excipients [propylèneglycol] ? » et publié le 16 janvier 2017 (Cliquer ici), APM International interroge l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) en date du 27 janvier 2017.

La réponse qui nous est donnée par l’ANSM semble fragilisée par le nouvel article de la revue Prescrire qui vient de paraître en ce 1er février 2017(1).

APM International : « Amine UMLIL, pharmacien au centre hospitalier de Cholet (Maine-et-Loire) a contacté son agence régionale de santé (ARS) Pays-de-la-Loire, l’ANSM (…) pour que soit envisagé la piste de la responsabilité de l’excipient propylèneglycol, ayant trouvé dans la littérature scientifique des cas documentés de toxicité en pédiatrie. »

Premier argument de l’ANSM :

« Cet excipient est présent dans une vingtaine de spécialités pédiatriques, principalement des antiviraux, selon l’agence. »

Réplique de la revue Prescrire :

« Graves surdoses en propylène glycol (…) Une série d’observations publiées par l’Agence étatsunienne du médicament (FDA) chez des nouveau-nés montre la gravité de ces effets en cas de dose élevée à cet âge. 10 nouveau-nés dont 8 prématurés exposés au propylène glycol, ainsi qu’à l’éthanol, contenus dans la solution buvable Kaletra®, une association antirétrovirale à base de lopinavir + ritonavir, ont souffert de : troubles cardiaques (blocs auriculoventriculaires complets, bradycardies, cardiomyopathies, un choc cardiogénique mortel), acidose lactiques, insuffisances rénales aiguës, dépressions du système nerveux central, troubles respiratoires. Des atteintes hépatiques et des hémolyses ont aussi été rapportées. (…) »

Deuxième argument de l’ANSM :

« Les effets décrits dans ces articles [soulevés par nos soins], consultés par APMnews, résultent d’un effet systémique ce qui n’est pas compatible avec la vitesse d’apparition des malaises associés à la prise d’Uvestérol », pour Caroline Semaille. »

Un constat :

La réponse de l’ANSM se focalise sur les « malaises », alors que notre article s’intéresse à l’arrêt cardiorespiratoire qui serait la cause du décès du nourrisson dans le cas d’espèce. Par ailleurs, cette réponse manque de précisons.

Réplique de la revue Prescrire :

« Les jeunes enfants, les nourrissons, notamment les prématurés, ont des fonctions rénales et métaboliques immatures et sont donc à risque élevé d’intoxication par le propylène glycol. »

Autrement dit, ces jeunes enfants éliminent plus lentement le propylène glycol ce qui pourrait les exposer à un surdosage lors d’une prise notamment répétée de l’UVESTÉROL®D.

Un extrait de la fiche toxicologique n°226 « Propylène-glycol » : base de données de l’INRS en date du 02/2016 :

« Toxicité chronique : L’administration par voie orale, parentérale ou transcutanée (sur lésion préexistante) (…) acidose métabolique (lactique) avec trou ionique et osmolaire avec ou sans coma ; élévation de l’osmolalité plasmatique, parfois à l’origine d’arrêt cardio-respiratoire de mécanisme physiologique inconnu (…) ; hémolyse au décours d’injection parentérale. Des intoxications médicamenteuses ont été décrites chez l’enfant à type d’insuffisance rénale aiguë ou de crises convulsives (…). »

Une telle insuffisance rénale pourrait, elle aussi, favoriser une accumulation du propylèneglycol et donc un surdosage chez l'enfant.

Troisième argument de l’ANSM relatif à l’absence d’information sur cet « effet notoire » du propylène-glycol :

« Le terme « effet notoire » n’apparaît ni sur le résumé des caractéristiques du produit (RCP) [VIDAL®, dictionnaire non exhaustif des médicaments] ni sur le conditionnement extérieur parce que cette obligation s’applique à partir de 200mg/kg/jour, une dose largement supérieure à celle des produits de la gamme Uvestérol*. »

Réplique de la revue Prescrire :

« Des doses maximales pour le propylène glycol en tant qu’excipient dans des médicaments ont été fixées par l’Agence européenne du médicament (EMA) en novembre 2014 par extrapolation à partir des données animales et analyse des données cliniques [chez l’Homme] disponibles. Les doses totales journalières, quelle que soit la voie d’administration, hors voie inhalée, ont été fixées à 1mg/kg par jour chez les nouveau-nés nés à terme et prématurés ; à 50mg/kg par jour chez les enfants âgés de 29 jours à 5 ans ; et à 500 mg/kg par jour chez les enfants à partir de l’âge de 5 ans et chez les adultes. » Or la revue relève notamment que « les seuils fixés par l’EMA sont largement dépassés lors de l’utilisation de certains médicaments. » Elle donne l’exemple des « 10 cas d’effets indésirables graves rapportés chez des nouveau-nés et des prématurés par la FDA en 2011 » en soulignant que « les doses de propylène glycol administrés variaient de 76 à 451mg/kg par jour. » Alors que le seuil est fixé à « 1mg/kg par jour ».

Quatrième argument de l’ANSM : une dose divisée par six

« La dose du propylèneglycol, un excipient à effet notoire, a été divisée par six » suite aux « modifications apportées fin 2014 ».

Un constat : les doses exactes (initiale et l’actuelle dose) ne sont pas précisées dans la réponse de l'ANSM publiée par APM International.

Réplique de la revue Prescrire :

« La quantité de propylène glycol dans les médicaments est rarement précisée dans les résumés des caractéristiques (RCP) [VIDAL®, dictionnaire non exhaustif des médicaments]. (…) Malgré les effets indésirables dose-dépendants du propylène glycol, les quantités contenues dans les médicaments sont difficiles à connaître. »

Ce qui est bien le cas de l’UVESTÉROL®D.

Cinquième argument de l’ANSM :

« Au cours de l’analyse des notifications, personne ni parmi les pédiatres, ni au CRPV [centre régional de pharmacovigilance] n’a évoqué la possibilité d’une responsabilité de cet excipient, a rapporté Dominique Martin. »

Question : Quel accueil l’ANSM pourrait-elle réserver à l’alerte donnée par un pharmacien des hôpitaux, praticien hospitalier, responsable de la pharmacovigilance, de la coordination des vigilances sanitaires et du CTIAP (centre territorial d’information indépendante et d’avis pharmaceutiques) du centre hospitalier de Cholet ?

Accessoirement, ce pharmacien était notamment à l’origine de la modification de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un médicament de cardiologie : introduction d’un effet indésirable pulmonaire dans le (RCP) [VIDAL®] de ce produit (cf. présentation du pharmacien lors de la séance du 7 octobre 2008 lors du comité technique de pharmacovigilance de l’AFSSAPS (agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ; nouvelle ANSM)).

Conclusion de la revue Prescrire :

« Le propylène glycol expose à des effets indésirables graves dose-dépendants. Divers médicaments en contiennent comme excipient, sans que la quantité précise soit connue des soignants et des patients faute d’information accessible. Les formulations ne sont pas toujours adaptées pour les patients les plus vulnérables. La prise en compte de ces risques par les autorités sanitaires et les firmes est lente, laissant les patients fragiles, jeunes enfants, patients insuffisants rénaux, trop peu protégés des dangers du propylène glycol à forte dose. »

Par conséquent :

Les cinq arguments avancés par l’ANSM à APM International nous semblent donc insuffisants : le nombre de médicaments contenant le propylène glycol, l’explication cinétique, les seuils fixés non respectés en pratique, la méconnaissance de la dose actuelle du propylène glycol malgré sa division par « six », le fait que la piste de cet excipient ne soit évoquée que par un pharmacien hospitalier… Nos questions concernant l’UVESTÉROL®D restent donc en suspens. Le décès se serait produit alors que l’enfant serait âgé de 10 jours ce qui permettrait d’envisager également l’hypothèse d’une toxicité plutôt chronique (par accumulation).

(1)     « Propylène glycol : un excipient aux effets indésirables dose-dépendants » ; La revue Prescrire, février 2017, Tome 37 N°400, pages 107-108






lundi 16 janvier 2017

Décès d’un nourrisson et UVESTÉROL®D : et si c’était lié à l’un des excipients ?


Différents moyens de communication nous apprennent le récent décès d’un nourrisson suite à l’administration d’un médicament : UVESTÉROL®D (ergocalciférol ou vitamine D2).

La recherche des causes susceptibles d’expliquer ce décès semble s'être concentrée uniquement sur la vitamine D (principe actif) d’une part, et sur le mode d’administration d’autre part.

Or, l’UVESTÉROL®D ne contient pas uniquement de la vitamine D. Sa composition met en évidence la présence d’une liste d’excipients.

Il serait regrettable d’ignorer les effets notoires que certains excipients peuvent provoquer.

En l’espèce, notre attention est attirée en particulier par la présence du propylèneglycol dans ce médicament (UVESTÉROL®D).

Le propylèneglycol peut induire des effets indésirables notamment chez les enfants. L’arrêt cardiorespiratoire figure parmi la liste de ces effets indésirables :

« Adverse Effects and Precautions [effets indésirables et précautions]
Systemic toxicity of propylene glycol is considered to be low after oral doses unless large quantities have been ingested, or when preparations containing propylene glycol are given to neonates or to patients in renal failure. Systemic toxicity is manifested most commonly by CNS depression, especially in neonates and children. Other reported adverse effects include hepatic or renal impairment, intravascular haemolysis, seizures, coma, arrhythmias, and cardiorespiratory arrest. Hyperosmolality has occurred, particulary in small infants and in patients with renal impairment ; lactic acidosis may also be a greater problem in the latter group. After topical use, propylene glycol may produce some local irritation, (…) Hypersensitivity reactions have also been reported. (…). »
(Propylene Glycol. In : « Martindale The complete drug reference », Thirty-fifth edition, Pharmaceutical Press, London, Chicago 2007 : 2152)

Un des mécanismes évoqué de l'arrêt cardiorespiratoire aurait un lien avec un phénomène d'hyper-osmolarité (cf. également les trois autres références ci-dessous*).
 
En France, ces effets indésirables ne sont pas mentionnés dans le RCP (résumé des caractéristiques du produit), version du VIDAL® (dictionnaire non exhaustif des médicaments) 2016. Seule la rubrique « CONTRE-INDICATION » fait mention d’une contre-indication en cas de :

« hypersensibilité à la substance active ou à l’un des excipients mentionnés à la rubrique Composition. »

Par conséquent, il serait utile de ne pas méconnaître la « piste des excipients ».

 

*Autres références :

Propylene glycol toxicity in children. In : J. Pediatr Pharmacol Ther. 2014 Oct-Dec ; 19(4) : 277-82 (Cliquer ici)

Hyperosmolality induced by propylene glycol. A complication of silver sulfadiazine therapy. In : JAMA. 1985 Mar 15;253(11):1606-9 (Cliquer ici)


Propylene glycol as a cause of an elevated serum osmolality. In : Am J Clin Pathol. 1979 Oct;72(4):633-6 (Cliquer ici)






dimanche 4 décembre 2016

Déclaration des « événements indésirables graves associés à des soins » (EIGAS) : commentaire suite au décret n°2016-1606 du 25 novembre 2016


Le récent décret, publié le 27 novembre 2016, est ainsi intitulé : « Décret n°2016-1606 du 25 novembre 2016 relatif à la déclaration des événements indésirables graves associés à des soins et aux structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients ». Ce décret est pris en application de l’article 161 de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

Ce texte soulève plusieurs interrogations :

Un titre confus à l’origine d’un lapsus

Le titre du décret pourrait laisser penser que les « événements indésirables graves » ne sont pas uniquement associés à « des soins ». Ils seraient également associés « aux structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients ».

Le terme « associé » et lien de causalité

A priori, le choix du terme « associé » ne serait pas anodin. Il ne présumerait d’aucun lien de causalité qui pourrait « lier » l’événement indésirable grave aux soins.

Une déclaration à l’agence régionale de santé (ARS) puis à la haute autorité de santé (HAS)

Ces « événements indésirables graves associés à des soins » (EIGAS) doivent être déclarés au « directeur général » de l’agence régionale de santé (ARS) par notamment « tout professionnel de santé » ou « tout représentant légal d’établissement de santé, d’établissement ou de service médico-social ». Cette déclaration se fait en deux parties : une première sans délai ; et une seconde (complémentaire) dans les trois mois. La voie électronique est prévue.

À son tour, Le directeur général de l’ARS transmet cette déclaration à la haute autorité de santé (HAS). Cette dernière élabore un rapport annuel qui sera envoyé au ministre chargé de la santé. Ce rapport sera rendu public.

Une définition de l’EIGAS exigeant deux critères cumulatifs

Cette définition, créée par l’article R.1413-67 du code de la santé publique, exige deux critères cumulatifs pour pouvoir identifier un EIGAS :

1.  Il faut que cet EIGAS soit un événement « inattendu » ;

2.  Il faut que cet EIGAS ait les « conséquences » suivantes : « décès », « mise en jeu du pronostic vital » ; « survenue probable d’un déficit fonctionnel permanent y compris une anomalie ou une malformation congénitale ».

L’absence de l’un de ces deux critères exclurait donc l’existence d’un EIGAS.

Le terme « conséquences » retenu par la définition de l’EIGAS et lien de causalité

Un EIGAS est « un événement inattendu (…) et dont les conséquences sont le décès (…) ». Cette définition établirait-elle une présomption simple d’un lien de causalité entre l’événement inattendu et ses conséquences ?

La consécration implicite d’une routine : « pas de morts, pas d’actions » ou l’acceptation des systèmes latents d’erreurs graves

Il faudrait donc lesdites « conséquences » (décès, mise en jeu du pronostic vital, séquelles) pour pouvoir actionner le signalement voulu par ce décret. Or, un événement peut être grave sans nécessairement entraîner de telles conséquences dramatiques : par exemple, une erreur grave interceptée à temps telle que celle d’une dose toxique ou celle de l’oubli de l’administration d’un traitement. Même en l’absence de ces conséquences, l’erreur doit interroger l’organisation.

Dans les secteurs de l’aviation, de l’aérospatial, de l’aéronautique, du nucléaire, etc., il faudrait espérer qu’une erreur grave, même sans conséquence, conduit, obligatoirement et sans délai, à l’identification d’un sérieux dysfonctionnement du système et à la mise en place, de façon effective, d’actions correctives et préventives.

L’admission des mesures correctives « envisagées » : autant dire l’inertie

Dès la première page du décret, il est facilement lisible qu’après la déclaration de ces EIGAS, les mesures « correctives » simplement « envisagées » sont acceptées. Avec un tel niveau d’exigence, l’inertie risque de l’emporter.

Une définition de l’EIGAS : une quasi-copie de la définition livrée par la pharmacovigilance mais excluant les critères de l’« hospitalisation » et de la « prolongation de l’hospitalisation »

En pharmacovigilance, l’article R.5121-152 du code de la santé publique, lui, définit « l’effet indésirable grave », associé à un ou plusieurs médicaments, comme étant un effet indésirable « létal », ou susceptible de « mettre la vie en danger », ou entraînant une « invalidité ou une incapacité importantes ou durables », ou « provoquant ou prolongeant une hospitalisation », ou se manifestant par une « anomalie ou une malformation congénitale ».

Le décret semble s’inspirer de cette définition en lui ôtant simplement les deux critères de l’« hospitalisation » et de la « prolongation de l’hospitalisation ».

Une définition imprécise de l’un des éléments constitutifs de l’EIGAS : l’introduction d’un zeste de subjectivité, d’incertitude et d’arbitraire ; le témoin de l’absence d’un référentiel ad hoc

Comme développé ci-dessus, l’événement « inattendu » constitue la moitié de la définition de l’EIGAS. Or, le décret reste muet sur ce critère. Son contenu n’est pas précisé : qu’est-ce qu’un événement « inattendu » ? inattendu par qui : le directeur, le médecin, le pharmacien, le préparateur en pharmacie, l’infirmier, l’informaticien, le service du transport, le service d’entretien, le service technique, etc. ? Autant d’intervenants ne peut que générer une divergence d’interprétations. Cette imprécision témoigne de l’absence d’un référentiel adéquat.

En pharmacovigilance, ce critère d’« inattendu » est bien défini, à l’article R.5121-152 du code de la santé publique, de façon objective : « un effet indésirable dont la nature, la sévérité ou l’évolution ne correspondent pas aux informations contenues dans le résumé des caractéristiques du produit mentionné à l’article R.5121-21. » Ce résumé des caractéristiques du produit est notamment la fiche contenue dans le dictionnaire, non exhaustif, des médicaments : le VIDAL®.

Comment identifier donc un EIGAS « inattendu » ? Cette question en suspens injecte de la subjectivité lors de l’appréciation d’un tel EIGAS. Elle ouvre le champ à l’incertitude et à l’arbitraire.

L’inclusion de l’événement indésirable grave « médicamenteux » dans ce panel global de l’EIGAS : un même effet générant plusieurs déclarations ; des doublons ; confusion avec la pharmacovigilance notamment ; des interfaces à éclaircir

Comme démontré ci-dessus, les critères déclenchant une déclaration en pharmacovigilance, d’un événement indésirable grave (EIG) présumé d’origine médicamenteuse, sont donc plus précis (l’événement inattendu est défini) et couvrent un champ plus large (n’excluant pas les critères de l’hospitalisation et de sa prolongation).

Le décret génère donc des doublons dans le système d’alertes. Un professionnel de santé devrait-il passer son temps à déclarer, le même événement, dans plusieurs directions ?

Pourquoi ne pas prévoir des liens, des ponts, entre les organes chargés de recueillir telle ou telle déclaration relative aux différentes vigilances sanitaires réglementaires déjà existantes ? D’ailleurs, le décret ne méconnaît pas ces dernières puisqu’il précise dans son article R.1413-68 ceci : « sans préjudice des déclarations obligatoires prévues aux articles R.1123-38 [recherche biomédicale], R.1211-46 [article abrogé par décret n°2016-1622 du 29 novembre 2016] [Biovigilance], R.1221-49 [Hémovigilance et sécurité transfusionnelle], R.1333-109 [Rayonnements ionisants], R.1341-12 [Toxicovigilance], R.5121-161 [Pharmacovigilance], R.5212-14 [Matériovigilance], R.5222-12 [Réactovigilance] et R.6111-12 [Infections nosocomiales] ainsi que de la déclaration à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé des événements indésirables liés à un produit mentionné à l’article L.5311-1. »

Les interfaces entre ce nouveau système déclaratif, créé par ce décret, et les vigilances sanitaires réglementaires déjà existantes appellent un éclaircissement du contenu et des contours.

Un constat : l’ignorance de l’« identitovigilance »

Relevons un constat : l’« identitovigilance » ne semble toujours pas faire partie des vigilances sanitaires réglementaires alors que les erreurs d’identité des patients peuvent générer des conséquences graves voire mortelles.

Une tendance à inverser l’économie générale de la gestion des risques et à pervertir le système qualité ad hoc

 Le signalement d’un événement indésirable n’a de sens que dans le cadre d’un processus déjà sécurisé visant à minimiser l’erreur évitable. Dans ce cas, ce signalement trouve un réel intérêt :

1.  Il permet d’identifier rapidement un décalage, un dérapage, dans l’une des étapes du processus sécurisé ;

2.  Il aide au repérage des failles qui n’auraient pas été identifiées lors de cette sécurisation : des dysfonctionnements qui se sont révélés lors de la pratique. Ce n’est pas un hasard si un nouvel avion fait l’objet de nombreux essais lors d’une phase préalable à toute mise en circulation.

Mais, un système déclaratif qui voit le jour sur le chantier d’un circuit désordonné ne peut que générer des perturbations supplémentaires. Le signalement d’un EIGAS ne saurait constituer, à lui seul et à titre principal, le moyen de sécurisation. En pareilles circonstances, il ne servirait qu’à alimenter et entretenir des fonctions parasites et à s’éloigner davantage des fondamentaux requis, par la réglementation en tout premier lieu. Il générera une dispersion des moyens. Il aboutira à l’établissement de nouveaux rapports qui viendront rejoindre une pile déjà significative de documents émanant notamment de ce qui serait devenu la mode des états des lieux, des audits, des indicateurs incompréhensibles, des statistiques, etc.

Quel est donc l’intérêt, pour le patient notamment, d’un signalement lorsque le processus n’est pas encore sécurisé ? A contrario, quel est l’intérêt de ce signalement quand l’erreur est purement humaine alors que le circuit est bien sécurisé ?

L’exemple de l’un des processus les plus meurtriers (environ 18.000 morts par an) : le circuit du médicament
Si l’on ne prend que l’exemple des soins médicamenteux qui pourrait prétendre au statut du processus le plus dangereux, ce processus (le circuit du médicament) n’est toujours pas sécurisé dans certains (peut-être la quasi-majorité des) établissements de santé (publics et privés). En effet, cette sécurisation ne sera atteinte, ou plutôt approchée, que lorsque l’obligation, dictée depuis au moins 1991, sera mise en œuvre de façon effective et rigoureuse. Cette mesure est la dispensation à délivrance nominative prévue par l’articleR.4235-48 (ancien article R.5015-48) du code de la santé publique : elle prévoit notamment la préparation des traitements, de chaque patient, par les pharmacies des établissements de santé.
Une préparation des traitements, de chaque patient, par les pharmacies : un abaissement du risque d’erreur de 25%-45% à 2%-7%
Dès 2004, on pouvait lire notamment ce qui suit :
« Si le standard correct était mis en œuvre (…) [c’est-à-dire le standard exigé par la réglementation depuis au moins 1991], on estime que le taux d’erreurs relatives au médicament, erreurs de moment d’administration exclues, serait de l’ordre de 2% à 7% des doses administrées ; alors qu’en distribution globale des médicaments par les pharmacies aux services hospitaliers, c’est-à-dire le système majoritaire dans les établissements de santé français, ce taux varie entre 25% et 45% des doses administrées. » (Revue Prescrire, « Iatrogénèse. Effets indésirables médicamenteux : à la recherche de l’évitable », mars 2004, Tome 24, n°248, page : 227 »
L’indispensable contrôle infirmier : une obligation absolue constituant un double contrôle ; à ne pas négliger sous aucun motif
Lorsque le standard pharmaceutique est valablement appliqué, le risque d’erreurs subsiste. Et c’est pour cette raison que cette même réglementation a rendu également obligatoire le contrôle infirmier. Situé au bout du processus, juste avant l’administration du médicament, ce contrôle ne peut être zappé sous aucun motif. C’est la dernière barrière de sécurité comme cela est modélisé depuis longue date. La pharmacie ne peut « contrôler elle-même » les médicaments qu’elle prépare. Puisque la tâche de préparation est fastidieuse et abrutissante par la répétition du geste et par le volume conséquent des médicaments à préparer (quasiment à la chaîne).
L’irréductible facteur humain : l’illusion d’un risque zéro même en cas d’informatisation, de robotisation…
Il est temps d’expliquer à toute personne, à tout patient potentiel, que le risque zéro n’existe pas. Que dès lors qu’il met un pied dans un établissement de santé, il prend, paradoxalement mais réellement, un risque irréductible associé aux soins.
Il est, par exemple, vain et illusoire de vouloir faire croire que l’informatisation et la robotisation des processus permettraient de supprimer le risque d’erreur. Car, c’est toujours l’Homme qui programme l’ordinateur, alimente le robot et gère l’environnement de ces machines. Pis encore, cette informatisation et robotisation pourraient même aggraver la situation initiale. La robotisation, par exemple, revient à se substituer à l’industrie pharmaceutique et à s’imposer les normes de production de qualité industrielle. Une chimère dans un établissement de santé français.
Le signalement : le voile d’un système d’erreurs graves et latentes
Dans un tel contexte (un circuit du médicament ne respectant pas la réglementation déjà existante), le signalement n’a aucun intérêt pour le patient notamment. Il n’aurait pour effet que de dessiner une image sécurisante mais trompeuse. L’analyse « des causes immédiates et des causes profondes » exigée par ce décret aboutira, à coup sûr, aux mêmes conclusions ; et « les actions correctives » voulues par ce décret reviendront toujours aux mêmes sources : appliquer le standard voulu par le législateur.

De nouvelles structures régionales « d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients » dotées de la personnalité morale : l’épaississement des mille-feuilles administratives aspirant des compétences internes

Le décret prévoit la mise en place, sous l’égide des agences régionales de santé (ARS), de nouvelles « structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients ».

Selon ce texte, cette structure « apporte (…) une expertise médicale, technique et scientifique aux établissements de santé (…) ».

Ce qui soulève une question : de quoi sont composés alors lesdits établissements de santé ?

Un établissement de santé ne possède-t-il pas déjà, en son sein, ladite « expertise médicale, technique et scientifique » ?

Quels seront les membres de cette nouvelle structure régionale ? Celle-ci va-t-elle aspirer et puiser, et ainsi disperser, les compétences internes aux établissements de santé ?

La Qualité ne se décrète pas. Elle est un ingrédient intrinsèque à chacun des gestes quotidiens que tout professionnel de santé est amené à effectuer dans l’intérêt du patient, notamment. Elle n’est pas une tâche supplémentaire à effectuer. Elle se confond avec le geste.

Le secret médical, la gestion des plaintes, la dimension pénale : le silence du texte

Le décret prévoit « la mention de l’information du patient et, le cas échéant, de sa famille, de ses proches ou de la personne de confiance qu’il a désignée ». Autant dire que le risque pénal est sérieux.

On ne voit pas très bien comment les « conditions qui garantissent l’anonymat du ou des patients et des professionnels concernés » pourraient résister à ce risque pénal.

Le décret n’aborde pas non plus la question relative à la gestion des plaintes éventuelles.

Conflit entre le système qualité et la dimension pénale : la question d’une charte de non-punition

Un système qualité ad hoc fait du signalement un moyen d’amélioration des pratiques en permettant le repérage des dysfonctionnements. Et, il garantit la non-punition de la personne à l’origine de l’erreur.

Suite à ce signalement des EIGAS, stigmatiser une personne qui a commis une erreur reviendrait à anéantir ce système d’alerte.

Or, le volet pénal ne semble pas prendre en considération une telle approche.

Le décret reste silencieux sur ce point. Une charte de non-punition serait-elle prévue ? Car la punition est, dans une certaine limite, contraire au but poursuivi par le système qualité. Et qu’en est-il de la distinction entre l’erreur et la faute ?

Toutefois, apprendre par l’erreur ne consiste pas à encourager la négligence, l’imprudence et l’incompétence.

Le signalement administratif parfois détourné, en pratique, à des fins de « délation » et de « règlement de compte »

Dans la pratique, il a déjà été constaté qu’un système administratif de signalement peut être utilisé à des fins étrangères au but poursuivi par le système qualité : « délation », « règlement de compte », « moyen de pressions », « chantage », etc.

Le décret n’apporte pas de garanties permettant l’éviction d’un tel détournement.

L’évaluation de l’exhaustivité des signalements des EIGAS

Le signalement de nature spontanée a déjà montré ses limites. Les causes de la sous-notification sont connues.

Comment donc s’assurer que tous les EIGAS seront signalés ? Comment éviter les notifications sélectives ?

L’absence de la première partie du manuel-qualité : des moyens d’abord

Dans un établissement de santé, tout manuel-qualité ad hoc commence par une première partie intitulée : « Engagement qualité de la direction ».

Dans ce document, la direction s’engage notamment à mettre à disposition les moyens nécessaires à l’accomplissement des fonctions et des tâches. Ces moyens répondent à des besoins réels qui ne doivent pas se confondre avec certains désirs.

Ces moyens visent d’abord à sécuriser les processus.

Ce même raisonnement appelle à s’appliquer à toutes les directions, y compris celles des agences régionales de santé (ARS), et pas seulement aux directions internes aux établissements de santé. D’autant plus que l’hôpital public est entré dans l’ère des groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Un financement orienté vers un objectif subsidiaire

Le décret prévoit des modalités de « financement » desdites nouvelles « structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients ».

Or, cet argent aurait pu venir irriguer, en priorité, les actions principales ciblant la sécurisation des processus et les conditions de travail dans les établissements de santé.

À notre avis, l’urgence est à la « promotion » de la sécurisation des circuits avant celle de la « déclaration ». C’est le moyen optimal qui permet d’atteindre le but voulu par le législateur : « améliorer la qualité des soins et la sécurité des patients et de prévenir la survenue des événements indésirables associés à des soins, tout au long du parcours de la prise en charge du patient ».

 













vendredi 11 novembre 2016

SEROPLEX (escitalopram) : les interrogations d'un pédopsychiatre


Question d’un pédopsychiatre

Voici donc la question qui nous est posée par un pédopsychiatre : « Le seroplex [escitalopram] c’est bien toléré, ou cela donne-t-il beaucoup d’effets secondaires [effets indésirables], voire paradoxaux ? »

Réponse proposée

Ce médicament (escitalopram) est un antidépresseur appartenant à la classe des antidépresseurs dits inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (IRS).

C’est aussi presque un « jumeau » [l’énantiomère S, isomère lévogyre] d’un autre médicament (citalopram, SEROPRAM®).

En clair, le citalopram contient, en lui-même, l’escitalopram. Ils ont globalement la même efficacité et le même profil d’effets indésirables que les autres antidépresseurs IRS. Mais, en 2016, en terme de risque, ces deux médicaments sont associés notamment à :

-     un risque plus important de troubles cardiaques :

Il est constaté un allongement de l’intervalle QT de l’électrocardiogramme (ECG) plus élevé qu’avec les autres antidépresseurs IRS. Ce risque est dose-dépendant. Cet allongement de l’intervalle QT expose à un risque de torsades de pointe (un trouble du rythme cardiaque parfois mortel). Ce risque (troubles du rythme ventriculaire et arrêts cardiaques) est identifié depuis 2011 par les agences américaine, britannique et française du médicament.

-     des effets indésirables plus graves en cas de surdosage comparativement aux autres antidépresseurs IRS.

-     plus de convulsions avec le citalopram.

L’escitalopram a été mis sur le marché juste avant la fin du brevet protégeant le citalopram. Cette stratégie commerciale semble vouloir limiter la concurrence des génériques du citalopram qui pointaient à l’horizon. Au lieu de prescrire ces génériques, la stratégie consiste à convaincre les médecins de prescrire le nouveau produit (escitalopram) présenté sous ses meilleurs jours ; bien que ce dernier ne soit qu’une « extraction » du premier (citalopram). Il était aussi, pour le moins, étonnant de voir la position (premier avis de 2004) de la commission française de la transparence.

En 2016, la prudence appelle à orienter le choix vers d’autres options. Tout en prenant en compte les effets du sevrage auxquels peut s’exposer un patient suite à l’arrêt d’un IRS.

Par ailleurs, il semble important d’informer le patient (et sa famille) également sur le risque concernant d'une part les anomalies du sperme associées au traitement par IRS, et d'autre part un éventuel effet perturbateur endocrinien pouvant expliquer un ralentissement de croissance.

Enfin, il y a lieu de rappeler le risque suicidaire notamment chez les enfants et adolescents traités par des antidépresseurs.






samedi 5 novembre 2016

Premier anniversaire du CTIAP : extrait du bilan


Notre projet est prêt depuis 2007. (Cliquer ici)

Environ un an après le lancement effectif (Cliquer ici), en juillet 2015, du centre territorial d’information indépendante et d’avis pharmaceutiques (CTIAP) du centre hospitalier de Cholet, il est constaté notamment :

-     Une consécration législative d’un « service public » ayant « pour mission la diffusion gratuite et la plus large des informations relatives à la santé et aux produits de santé (…). » C’est l’œuvre d’un nouvel article (L.1111-1-1) du code de la santé publique créé par la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dite loi « Touraine ». (Cliquer ici)

-     Le premier article, publié par le CTIAP en septembre 2015 (Cliquer ici), est versé en justice comme une preuve scientifique, dans un conflit opposant des professionnels de santé. Je suis invité à venir témoigner devant les juges lors d'une audience à venir. Ce conflit est extérieur à la région Pays-de-la-Loire.

-     Le deuxième article, publié en octobre 2015 (Cliquer ici), concernant l’euthanasie est relayé par la presse auprès du public (Cliquer ici).

-     Dans son numéro de novembre 2016 (Tome 36 N°397, page 832), la revue indépendante « Prescrire » publie un article intitulé « Dispositifs transdermiques de scopolamine : mydriases [troubles oculaires] unilatérales chez des soignants ». Elle vient ainsi confirmer un cas similaire, publié quelques mois plus tôt (avril 2016), par le CTIAP du centre hospitalier de Cholet. (Cliquer ici)

Ce n’est pas la première fois que la revue « Prescrire » vient rejoindre notre analyse. (Cliquer ici)

-     En septembre 2016, le contenu de l’article publié en juin 2016 (Cliquer ici) est ainsi apprécié de l’Étranger : « Went to get this book « Ce que devient le médicament dans le corps humain : Conséquences en matière de soins » (…) With the contents were very interesting. This made for all ages. Bestseller book version of New York Times. Along with a lot of amazing things and easy to understand, simple and brief explanation. With an attractive cover and compatible format of (…) Come on to get it !!! ».

En 2016, le principe du CTIAP s’étend à d’autres territoires à la demande de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère des affaires sociales et de la santé. (Cliquer ici)