jeudi 21 mai 2020

« Ségur de la santé » : l’hôpital public a besoin d’un choc structurel et non pas d’une nième réforme de circonstance


La mission principale d’un hôpital public est le soin.
À l’occasion d’une maladie nouvellement identifiée (Covid-19), provoquée par un nouveau coronavirus (SARS-CoV-2), les professionnels de santé sont qualifiés de « héros ». Or en réalité, ces professionnels ne font qu’exercer leurs métiers respectifs. Ce qualificatif de « héros » nous paraît donc incompréhensible. Par ailleurs, cet actuel printemps viral a mis en évidence l’incapacité de l’hôpital public à gérer cette infection tout en maintenant son activité habituelle. La Covid-19 devient la première des urgences. Les autres pathologies, elles, auraient été reléguées à une position secondaire. Les autres décès, même quand ils sont évitables, seraient donc plus acceptables que ceux liés à la Covid-19.
Profitant de l’émotion suscitée par ce contexte, pour le moins étrange et exceptionnel, chez une population qui ne connaît pas bien le fonctionnement hospitalier, certaines voix tentent d’imputer cette incapacité de l’hôpital à un manque de moyens. La troupe met la pression sur l’exécutif. Or, là encore, et selon notre expérience acquise sur le terrain durant plus de vingt ans, de nombreuses preuves, vérifiables, démontrent que ladite incapacité hospitalière française n’est pas due uniquement à un manque de moyens.
Citons l’exemple suivant : un poste d’« assistant spécialiste » est vacant au sein de la pharmacie à usage intérieur (PUI) d’un hôpital public. Ce poste est financé. Les candidats ne manquent pas : ce type de poste est recherché par les jeunes pharmaciens qui terminent leur formation d’interne en pharmacie. Mais, le chef de service de cette PUI refuse de pourvoir ce poste. Dans le même temps, la sécurisation du circuit du médicament n’est pas mise en oeuvre. Et pour justifier cette inertie (absence de sécurisation de ce circuit), l’argument du manque de moyens est soutenu. Rappelons que le circuit du médicament génère près de 20 000 morts par an, dont la moitié est évitable car liée à des dysfonctionnements qui trouvent leur source notamment dans le non-respect de la loi.
Un manque de moyens ? Vraiment ?
Donnons un autre exemple : comment justifier donc les moyens utilisés pour organiser la fête de la musique dans les murs d'un hôpital ? Alors que des comptes rendus d’hospitalisation, attendus par des médecins généralistes, sont rédigés avec des semaines de retard par manque de temps de secrétariat médical ?
L’hôpital public souffre, avant tout, du désordre qui règne en son sein. Il est victime de la dispersion de ses moyens. Les intérêts catégoriels et personnels se sont substitués à l’intérêt général. Le choix des praticiens, appelés à participer à la direction de l’hôpital, se fait en fonction de leur aptitude à la soumission ; et non pas selon le contenu de leurs Curriculum vitae (C.V.). Les compétences importent peu : elles font même peur. Le directeur écarte tous ceux qui sont capables de lui apporter une contradiction utile. Le premier cercle du pouvoir ressemble à un conglomérat de clones. Des commissions, comités, assemblées qui prolifèrent. Des élections à la commission médicale d’établissement (CME), lorsqu’elles ne sont pas truquées, se font en fonction du copinage : alors que la loi exige une composition équilibrée de la CME où toutes les disciplines sont représentées, la CME se retrouve avec plusieurs anesthésistes, nombreux urgentistes… pendant que d’autres disciplines ne se voient attribuées aucun représentant. Les « amis » du Maire, ou d'autres politiques, bénéficient d’une immunité particulière. Un praticien hospitalier peut cumuler plusieurs responsabilités durant des décennies et jusqu’à son départ à la retraite : chef de pôle, chef de service, membre de droit de la CME, membre du directoire, membre du conseil de surveillance, etc. Le Seigneur, d'une dimension locale, peut même léguer son « domaine » à l’un de ses vassaux. La loi est souvent méprisée. Les organes de contrôle, de régulation et de sanction ne répondent même pas aux alertes émises par des praticiens hospitaliers. Pis encore, les auteurs de ces alertes sont placardisés, humiliés, voire « psychiatrisés ». Des syndicats gangrénés par la loi d’airain oligarchique ; et qui auraient même réussi à infiltrer certains Ordres professionnels. Etc.
Un turn-over incessant des praticiens hospitaliers et des démissions qui n’inquiètent personne.
La conduite des projets, pourtant validés par l’établissement lui-même, cède face à la paresse et à l’incompétence de certains planqués. Ces derniers sont assurés de l’avancement de leurs carrières qui se fait selon le nombre d’années effectuées, fussent-elles bien somnolentes, et non pas selon une évaluation du travail réalisé.
Les petites mains, elles, sont évaluées. Cette évaluation conditionne l’évolution de leur carrière. Le directeur, aussi, est évalué ; ainsi que les directeurs adjoints. Mais, pas les Seigneurs.
La règle devient : plus un praticien hospitalier veut s’investir dans l’intérêt de l’établissement et du patient, plus il risque de déranger le clan, plus il s’expose aux représailles.
Des pratiques sans intérêt supplantent des tâches fondamentales. Au sein d’un hôpital, un site intranet, conçu pour la coordination des vigilances sanitaires, a été approuvé par notamment la haute autorité de santé (HAS) lors des visites de certification de cet établissement. Désormais, cet outil, apprécié par les soignants, a été détourné vers d’autres finalités : informer sur la météo, donner une citation d’un auteur à lire (par jour), le menu au self, etc. Il s'agit d'une décision unilatérale d’un nouveau cadre faisant fonction de directeur de communication. Une décision qui vient anéantir plusieurs années de travail.
Une communication vers l’extérieur qui, souvent, s’apparente à de la propagande. Elle cherche à embellir l’image de la structure au mépris de l’évidence même. La « twiplomatie » hospitalière contribue à la désinformation et à la manipulation de l'opinion publique.
Ce qui manque à l’hôpital, c’est surtout l’effectivité de la norme. Et donc, la sanction des comportements individuels, déviants et récalcitrants, d’une minorité qui s’est approprié l’Institution hospitalière, tout en asservissant la majorité des praticiens ainsi que leur indépendance professionnelle.
Le hiatus se loge chez les détenteurs du pouvoir médico-administratif local ; et dans cette lutte entre les pouvoirs médical et administratif.
L’hôpital public a besoin d’un seul et vrai « chef » capable de diriger de façon impartiale et en se basant sur les preuves. Un arbitre au-dessus de la mêlée. Diriger n’est pas commander. Un management par les preuves à l’image d’une médecine fondée sur les preuves. Ce chef ne saurait concentrer tous les pouvoirs : le refus de la confusion des pouvoirs et de la tyrannie.
Aujourd’hui, le directeur d’un hôpital semble être le « dindon de la farce ». Il semble coincé entre le pouvoir médical, l’Agence régionale de santé (ARS) et le Maire.
D’ailleurs, le Maire devrait être le véritable représentant des usagers.
Actuellement, dans l’état des choses, donner plus d’autonomie à l’hôpital public reviendrait à encourager l’anarchie ambiante, devenue si familière.
L’hôpital public se portait mieux à l’époque des Préfets.
La présidence du conseil de surveillance devrait être confiée à un Magistrat de la chambre régionale des comptes, par exemple.
Les conflits, impliquant l’hôpital public, devraient relever du droit commun ; et non pas de ce privilège de juridiction administrative, pourvoyeur de l’impunité des dirigeants.
Une bonne gestion des deniers publics n’est pas incompatible avec la qualité des soins. Les bonnes pratiques, dénuées de tout lien ou conflit d’intérêts, génèrent des économies substantielles.
Notre réflexion nous conduit à dire que l’hôpital public a plutôt besoin d’un choc structurel et d’une nouvelle approche culturelle. Ceux qui douteraient sont invités à lire nos précédentes réflexions publiées depuis au moins 2006.
Par conséquent, à l’occasion du futur « Ségur de la santé », nous envisageons de soumettre au Président de la République une liste argumentée de propositions nouvelles et indépendantes.








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