lundi 18 mars 2019

Non, le pharmacien n’est pas le médecin. « La prescription pharmaceutique » : un dangereux glissement de tâche, une nouvelle imprudence


« Les députés autorisent les pharmaciens à délivrer certains médicaments vendus jusqu’ici sur ordonnance ». Tel est le titre de l’article publié le 14 mars 2019 par le journal Ouest-France. C’est cette même Assemblée nationale qui a rejeté, il y a encore quelques semaines, la proposition de loi contenant « des mesures d’urgence contre la désertification médicale » ; une proposition qui consiste à « réguler l’installation de médecins et de les répartir harmonieusement sur le territoire national ». Pour remédier à cette répartition déséquilibrée des médecins sur le territoire national, ces députés veulent donc faire du pharmacien un « prescripteur ».
Cette idée s’apparente à un glissement de tâche. Elle nous semble imprudente voire dangereuse. Elle vient s’ajouter à d’autres glissements de tâches, illégaux, entre professionnels de santé.
En tant que pharmacien, cette autorisation m’est, pour le moins, incompréhensible. Je ne peux m’aventurer dans une telle voie. Car, la « prescription » est un acte qui relève de la compétence du médecin. Cette « prescription » est un acte connecté au diagnostic que, seul, le médecin est habilité à faire. Selon le code de la santé publique, le pharmacien « doit s’abstenir de formuler un diagnostic sur la maladie au traitement de laquelle il est appelé à collaborer » (article R.4235-63). Je ne souhaite pas participer à cette dévalorisation d’un acte médical aussi déterminant dans le traitement efficace et sécurisé d’une pathologie.
Pour tenter de nous rassurer, les inventeurs de cette idée nous expliquent que cette « prescription pharmaceutique » ne concernerait « que des pathologies bénignes ». Or, un tel argument nous paraît profondément perturbé sur le plan intellectuel. Car, établir le caractère « bénin » d’une pathologie est le résultat d’un diagnostic dûment conclu par le médecin : ce constat est la conséquence du diagnostic et non pas le déclencheur de ce diagnostic. Ce dernier ne peut être établi que par un professionnel de santé ayant consacré de nombreuses années à étudier notamment comment établir les diagnostics différentiels entre diverses pathologies distinctes par des interfaces subtiles et dont certaines sont en apparence bénignes. Le pharmacien, lui, a consacré autant d’années d’études à la connaissance du médicament sous ses différentes facettes. D’ailleurs, notre livre intitulé « Médicament : recadrage. Sans ton pharmacien, t’es mort ! » met en évidence le métier premier du pharmacien tel qu’il est consacré par l’article R.4235-48 du code de la santé publique : un rôle que nous considérons comme étant le « corps de la solution » pour sécuriser le circuit du médicament ; et non pas pour « jouer au médecin ou à l’infirmier ».
Les promoteurs de cette idée essayent également de nous rassurer en mettant en avant un « protocole mis en place par la Haute autorité de santé (HAS) » qui pourrait guider le pharmacien lors du diagnostic. Or, concernant l’évaluation des guides de cette HAS, seulement 6% sont jugés « intéressants » par notamment la revue indépendante Prescrire. Celle-ci considère que ce « qualificatif de "haute autorité" n’est toujours pas justifié ». Environ 21% de ces guides ont même « des défauts majeurs ou susceptibles de nuire à la qualité des soins » selon cette même revue.
Par ailleurs, celui qui prescrit ne devrait pas être celui qui dispense (qui vend). Une telle séparation des pouvoirs nous semble la plus prudente, la plus efficiente et la plus éthique.
« Aucune consultation médicale ou vétérinaire ne peut être donnée dans l’officine. Cette interdiction s’applique aussi aux pharmaciens qui sont en même temps médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme ou vétérinaire » (article R.4235-66 du code de la santé publique).
Le code de la santé publique garantit la sécurité et la protection du public. Il invite le médecin et le pharmacien au dialogue. Il répartit le rôle de chacun de ces deux acteurs du circuit du médicament en fonction de leurs compétences respectives. Il ne saurait être détourné pour répondre à des intérêts catégoriels et aux désirs des uns et des autres. Agissons sur les causes du problème et évitons de dénaturer les professions de santé.
Pour résoudre le problème de fond, pourquoi ne pas conditionner l’inscription à la faculté de médecine à une nouvelle règle non rétroactive : l’encadrement de l’installation des futurs médecins. Un jeune bachelier, qui est en désaccord avec cette règle, n’est nullement obligé de devenir médecin : un métier investi d’une mission de service public et que l’on choisit, avant tout, par conviction.
Le pharmacien ne devrait pas ignorer non plus ses responsabilités, dont la responsabilité pénale, en pareilles circonstances. « Souvent, je m’éprouve moi-même lorsque je pense à ma responsabilité pénale ! Ainsi s’exclame le pharmacien Homais dans la plus célèbre des œuvres de Gustave Flaubert, Madame Bovary. » (La responsabilité pénale du pharmacien, Ordre national des pharmaciens).
Si le pharmacien accepte cette banalisation du diagnostic médical, il ne faudrait alors pas s’étonner de voir un centre commercial, tel que le magasin Leclerc, prétendre pouvoir réaliser l’acte de dispensation pharmaceutique.

Chacun son rôle, chacun sa place. Mais, ensemble. Pour la qualité et la sécurité des soins ainsi que pour la maîtrise des coûts.








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