mercredi 5 septembre 2018

Lamotrigine (LAMICTAL® ou autre) pendant la grossesse et troubles autistiques : la question d’un pédopsychiatre


À l’heure où la question de « l’information des patients et des professionnels de santé » semble être, à nouveau, à l’ordre du jour, le CTIAP propose le cas pratique suivant. Ce dernier pourrait mettre en évidence notamment ceci : la divergence des informations émanant de sources reconnues ; parfois même, l’information figurant dans la notice-patient n’est pas libellée de façon exactement identique à celle disponible dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP, version VIDAL®) qui est destiné aux professionnels de santé ; etc.

La lamotrigine (LAMICTAL® ou autre) est un médicament utilisé dans l’épilepsie et les troubles bipolaires. Le CTIAP est saisi de la question suivante posée par un pédopsychiatre.

Question d’un pédopsychiatre

« Cher confrère,
Je recherche des informations à savoir si, comme pour la DÉPAKINE [acide valproïque], des études ont montré la responsabilité du LAMICTAL [lamotrigine] pris pendant la grossesse sur les troubles autistiques de l’enfant à venir.
Pouvez-vous m’aider ?
(…) »

Extrait de la réponse proposée par le CTIAP

Les recherches effectuées ont permis d’accéder notamment aux données suivantes.

Résumé des caractéristiques du produit (RCP), version papier du VIDAL® 2018

Concernant le risque lié à la lamotrigine pendant la grossesse, les mentions légales indiquent notamment que « l’analyse d’un nombre élevé de données chez les femmes exposées à la lamotrigine en monothérapie pendant le premier trimestre de grossesse (plus de 8700) n’a pas mis en évidence d’augmentation substantielle du risque de malformations congénitales majeures y compris les fentes labio-palatines. Les études chez l’animal ont montré une toxicité sur le développement (…) La lamotrigine (…) pourrait (…) théoriquement conduire à un risque accru de préjudices embryofoetaux par diminution des taux d’acide folique (…) ».

Ce RCP ne semble pas intégrer les éléments publiés dans un rapport établi conjointement, en juin 2018, par l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament) et par la Caisse nationale d’assurance maladie.

Rapport de l’ANSM et de l’Assurance maladie de juin 2018

Dans ce document intitulé « Risque de troubles neuro-développementaux précoces (avant l’âge de 6 ans) associé à l’exposition in utero à l’acide valproïque et aux autres traitements de l’épilepsie en France », il est indiqué, concernant l’ensemble de la population d’étude, que « l’incidence des diagnostics de troubles mentaux et du comportement (toutes catégories de diagnostics confondues) au cours du suivi était plus élevée parmi les enfants exposés à la lamotrigine pendant la grossesse que parmi les enfants non exposés (…) Cette différence concernait les catégories de diagnostics « retard mental » (…) et « troubles du développement psychologiques » (…) En revanche, l’incidence des diagnostics des catégories « troubles envahissants du développement » et « troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant habituellement durant l’enfance et l’adolescence » ne différait pas significativement entre les enfants exposés à la lamotrigine et les enfants non exposés. » Cette étude de cohorte a permis à l’ANSM et à l’Assurance maladie d’affirmer qu’« après ajustement sur les caractéristiques sociodémographiques, les indicateurs de santé maternelle et les caractéristiques du nouveau-né, les enfants exposés à la lamotrigine pendant la grossesse avaient un risque global de diagnostic de troubles mentaux et du comportement au cours du suivi 1,6 fois plus élevé que les enfants non exposés (…) Le risque de « retard mental » était 2,4 fois plus élevé parmi les enfants exposés à la lamotrigine comparé aux enfants non exposés (…) et le risque de « troubles du développement psycholgique » 1,5 fois plus élevé (…) ».

Ces données ne semblent pas être intégrées, non plus, dans la fiche publiée par le CRAT (centre de référence sur les agents tératogènes). Une fiche mise à jour le 22 février 2017 (soit avant la publication de ce rapport).

Avis du CRAT (centre de référence sur les agents tératogènes), fiche mise à jour le 22 février 2017

Selon ce Centre, les « données publiées chez les femmes exposées à la lamotrigine en cours de grossesse sont très nombreuses et rassurantes », la lamotrigine « n’est pas tératogène chez l’animal », et concernant l’aspect neuro-comportemental, le CRAT soutient qu’« à ce jour, l’exposition in utero à la lamotrigine ne provoque pas de répercussion neuro-comportementale particulière lors du suivi jusqu’à l’âge de 7,5 ans environ des enfants exposés ».

Mais, une méta-analyse sème le doute.

Une méta-analyse publiée en 2017 : en faveur d’une augmentation du risque d’autisme

En 2017, un article est publié, par A. A. Veroniki et al., sous le titre suivant : « Comparative safety of antiepileptic drugs for neurological development in children exposed during pregnancy and breast feeding : a systematic review and network meta-analysis ». Cette méta-analyse suggère une augmentation du risque d’autisme après exposition in utero à la lamotrigine :

« Conclusions Valproate alone or combined with another AED (antiepileptic drug) is associated with the greatest odds of adverse neurodevelopmental outcomes compared with control. Oxcarbazepine and lamotrigine were associated with increased occurrence of autism. Counselling is advised for women considering pregnancy to tailor the safest regimen. »

Ces nouvelles données sur les risques liés à la lamotrigine : non intégrées dans le RCP, version papier du VIDAL® 2018 et version informatique du site internet de l’ANSM (Base de données publique des médicaments – consultée le 4 septembre 2018 -)

Les éléments publiés, par l’ANSM et l’Assurance maladie en juin 2018 (cf. ci-dessus), ainsi que la conclusion de cette méta-analyse (suggérant une augmentation du risque d’autisme après exposition durant la grossesse), ne semblent pas, non plus, avoir été intégrés au RCP sous sa version notamment informatique disponible sur le site internet de l’ANSM : soit dans la « Base de données publique des médicaments ».

Base de données publique des médicaments : Deux dates de mise à jour différentes sur le même document

Le RCP disponible sur ce site internet (« Base de données publique des médicaments ») indique deux dates de mise à jour différentes : « Dernière mise à jour le 07/08/2018 » et « ANSM – Mis à jour le : 16/03/2018 ». Ces mêmes datent figurent également sur la page livrant la « notice patient ».

Concernant le risque relatif aux fentes labio-palatines

Comme déjà indiqué ci-dessus, le RCP affirme que « l’analyse d’un nombre élevé de données chez les femmes exposées à la lamotrigine en monothérapie pendant le premier trimestre de grossesse (plus de 8700) n’a pas mis en évidence d’augmentation substantielle du risque de malformations congénitales majeures y compris les fentes labio-palatines (…) ».

La « notice patient », elle, disponible sur le site internet de l’ANSM (« Base de données publique des médicaments »), indique une formulation différente : « Il existe un faible risque d’augmentation de malformations congénitales incluant des fentes labiales ou des fentes palatines, si LAMICTAL est pris au cours des 3 premiers mois de grossesse. »

Ce risque n’est pas évoqué dans la fiche publiée par le CRAT.

Avis de la revue Prescrire

Pour sa part, en 2009, la revue Prescrire soutenait que « la plupart des données sont rassurantes quant au taux global de malformations liées à la lamotrigine, hormis un doute sur des fentes labio-palatines. Les effets indésirables sur le développement psychomoteur sont inconnus ». Cette revue ajoutait qu’« en janvier 2009, aucune information n’était disponible dans (…) sur les conséquences à long terme d’une exposition in utero à la lamotrigine ».

Conclusion

Il est donc indispensable de bien étudier le rapport bénéfice/risque d’un médicament avant de le prescrire.

Il est aussi nécessaire de bien informer la patiente afin que cette dernière puisse donner, ou non, son consentement libre et éclairé.

Répondre à la question posée nécessite la réalisation d’autres études surtout épidémiologiques. Il y a lieu de rappeler que le risque tératogène de tel ou tel médicament est souvent lent à être identifié. Les exemples du thalidomide, du diéthylstilbestrol, de l’acide valproïque, des antidépresseurs inhibiteurs dits sélectifs de la recapture de la sérotonine, etc. le démontrent. Le rôle des agents tératogènes, dont les médicaments, serait probablement sous-estimé comme le laisse penser notamment une étude américaine publiée en 2017 et commentée en avril 2018 par la revue Prescrire. Selon cette étude, 80% des malformations congénitales n’ont pas de cause identifiée dans les dossiers médicaux des mères ou des enfants.

Par ailleurs, les données observées lors des expérimentations chez l’animal peuvent avoir une valeur d’alerte. Comme déjà indiqué ci-dessus, le RCP du LAMICTAL® (lamotrigine) précise que les « études chez l’animal ont montré une toxicité sur le développement (…) ». Mais, ces données chez l’animal sont difficiles à interpréter et à transposer chez l’Homme.

Rappel aux patients

Il est rappelé aux patients qu’il ne faut pas arrêter son traitement sans l’avis du médecin.








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