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samedi 2 février 2019

Perturbateurs endocriniens. Des bébés exposés au BHT : le CTIAP saisi par des mamans inquiètes


« (…) Nous sommes donc un groupe de mamans dont les bébés ont réagi à Adrigyl [colécalciférol ou vitamine D3] prescrit dès la maternité. (…). »
Des mamans, habitant le Sud de la France, saisissent le CTIAP car elles n’auraient pas eu de « réponse de la part du corps médical ». Elles ont « besoin de soutien de personnes du monde médical et scientifique pour rechercher des solutions pour [leurs] bébés. » Elles ont « le sentiment que [leurs] bébés ont été intoxiqués ». Elles se posent beaucoup de questions, qui nous ont été énumérées, tout en ayant « conscience de la difficulté de cette affaire » : « Comment soigner nos bébés ? Comment les aider à éliminer au mieux cette molécule ? Est-il possible de vérifier les dosages d’Adrigyl, notamment celui du BHT ? Que sait-on sur le BHT ? Pourquoi le BHT est-il interdit dans certains pays comme l’Australie, le Japon, la Roumanie ? Comment trouver les documents en attestant ? Pourquoi le BHT est-il utilisé dans un médicament à ingérer pour bébé alors qu’il existe d’autres solutions ? Etc. ? ».
Dans leurs témoignages, ces mamans soulignent une régression des effets indésirables constatés après l’arrêt - souvent par oubli - du médicament suspect d’une part ; ces effets indésirables reviennent dès la reprise du traitement d’autre part. La pharmacovigilance ne pourrait rester insensible à une telle chronologie dans la survenue des effets indésirables notifiés.
Ces mamans souhaitent « alerter les autorités sanitaires ». Elles ne remettent pas en cause le principe actif (colécalciférol ou vitamine D3) d’ADRIGYL®. Elles suspectent notamment l’un des excipients qui composent cette spécialité pharmaceutique : le butylhydroxytoluène (BHT). Ces mamans s’interrogent « vivement sur ses effets sur [leurs] bébés qui présentent les mêmes symptômes ». Leur inquiétude concerne la santé de leurs enfants à court et à long terme : « Nous nous inquiétons sur la santé à venir de nos enfants au vu de ce que nous avons lu sur cet antioxydant » qui est le BHT.
Le BHT est utilisé comme antioxydant dans l’alimentation humaine et animale en tant qu’additif. Il est également présent dans le domaine de la cosmétique et des produits de soin et d’hygiène, dans des huiles végétales et animales et dans des savons. Il se retrouve aussi dans des médicaments, produits phytopharmaceutiques, parfums, cires, produits d’entretien, biocides (désinfectants), peintures, caoutchoucs, plastifiants. Il évite l’oxydation des matériaux pendant un stockage prolongé.

Retour de l'ADRIGYL® sur le marché français : une nouvelle formulation

En 2007, l'ADRIGYL® avait cessé d’être commercialisé. En 2011, il a fait son retour sur le marché français avec deux changements : une présentation actuelle en flacon compte-gouttes de 10 ml ; et une formulation qui ne contient plus d’alcool.

Présence du BHT dans d’autres médicaments

Il y a lieu de préciser que l’ADRIGYL® n’est pas le seul médicament contenant du BHT. En effet, ce dernier fait partie de la liste des excipients composant d’autres médicaments et notamment d’autres médicaments à base de vitamine D.

BHT : inscrit sur la liste des excipients à effets notoires

Un excipient à effet notoire est un excipient qui est susceptible de générer un risque d’effets indésirables.
Selon la liste des excipients à effet notoire, mise à jour en 2009 par l’Afssaps (agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ; actuellement ANSM : agence nationale de sécurité du médicament) suite au Guideline européen de 2003, le BHT est bien un excipient à effet notoire.
En principe, un tel effet notoire devrait être mentionné dans notamment le RCP (résumé des caractéristiques du produit), version VIDAL®.

L’effet notoire du BHT non mentionné dans le RCP et dans la notice patient

La liste des excipients à effet notoire a été remise à jour par la Commission européenne (Guideline de juillet 2003) avec des propositions de libellés pour les annexes des autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments concernés. Sur la base de ce Guideline, l’Afssaps a élaboré un document dans le but de traduire les libellés européens et d’intégrer lesdites propositions de libellés dans les AMM.
Les mentions concernant les excipients à effets notoires doivent être notées notamment dans le RCP au niveau des rubriques « composition qualitative et quantitative » et « mises en garde spéciales et précautions d’emploi » ; dans l’étiquetage au niveau de la « liste des excipients » ; et dans la notice dans la rubrique « Liste des excipients à effet notoire ».

Un exemple est donné par la lecture du RCP, version VIDAL®2018, d’un médicament à base, lui aussi, de vitamine D : UN-ALFA® (alfacalcidol). La rubrique « Composition » indique : « Excipients à effet notoire : huile de ricin, parahydroxybenzoate de méthyle (E218) ». La rubrique « Mises en garde/précautions d’emploi » précise : « Ce médicament contient de l’huile de ricin et peut provoquer des troubles digestifs (effet laxatif léger, diarrhée) ; Ce médicament contient du parahydroxybenzoate de méthyle (E218) et peut provoquer des réactions allergiques (éventuellement retardées). »

Mais, concernant l’objet de la réclamation de ces mamans, le RCP, version VIDAL®2018 et version disponible sur le site de l’ANSM (mise à jour le 31/10/2016), d’ADRIGYL® ne mentionne aucun effet notoire du BHT. De même, dans la notice, version disponible sur le site de l’ANSM (mise à jour le 31/10/2016), il est même indiqué : « Liste des excipients à effet notoire : Sans objet. »

Pourtant, le BHT figure bien dans la liste mise à jour par l’Afssaps (actuellement ANSM) depuis au moins 2009 :
« Excipient 12 : HYDROXYTOLUENE BUTYLE (E321)
Voie (topique) ; Seuil (Zéro) ; Information Notice « Peut provoquer des réactions cutanées locales (par exemple : eczéma) ou une irritation des yeux et des muqueuses. » ; etc. »

Le BHT suspecté dans l’« affaire LÉVOTHYROX® » en cours : suspecté d’être « un perturbateur endocrinien »

Dans un document de l’ANSM, datant du 4 octobre 2018, intitulé « Analyse de la qualité pharmaceutique des spécialités LEVOTHYROX et EUTHYROX, comprimés sécables », l’ANSM rappelle les « pistes » qui « ont été évoquées, notamment par les associations de patients, que les Laboratoires de l’ANSM se sont employés de vérifier ». Le BHT figure parmi ces pistes.
L’ANSM soutient que ce BHT est un « antioxydant couramment utilisé mais suspecté d’être un perturbateur endocrinien, bien que celui-ci ne soit pas déclaré dans l’AMM de la nouvelle formulation » du LÉVOTHYROX®.

Le BHT : avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES)

Dans un avis, en date du 8 avril 2016, rendu par l’ANSES, le BHT figure parmi les six substances évaluées en vue d’identifier leurs éventuels effets néfastes pour la santé de l’Homme et des espèces présentes dans l’environnement, en lien avec une perturbation endocrinienne.
Concernant les dangers pour l’Homme, l’ANSES indique notamment que « les études prénatales et postnatales disponibles jugées peu fiables (études anciennes, études avec une faible puissance statistique, …) montrent des altérations du comportement et des retards de croissance chez les rats et les souris. Le BHT traverse la paroi placentaire et est également retrouvé dans le lait maternel, ce qui soulève des inquiétudes sur le développement des jeunes rats ».
L’ANSES ajoute : « Concernant un potentiel effet perturbateur endocrinien, sur la base de deux études in vitro présentant des limites méthodologiques, il apparaît que le BHT peut agir comme un œstrogène et un anti-androgène. Il n’y a pas de données animales pour évaluer ce mode d’action PE. Des études montrent que le BHT a une action sur la thyroïde du rat avec des modifications hormonales de la concentration des hormones thyroïdiennes, une hyperplasie et des tumeurs de la thyroïde. À ces modifications histologiques est associée une augmentation de la demi-vie biologique de thyroxine mais sans modification du taux de Thyréostimuline (TSH). Il y a donc une convergence d’éléments de preuve suggérant que le BHT peut agir sur la thyroïde du fait d’une augmentation du catabolisme hépatique des hormones thyroïdiennes. Néanmoins, en l’état actuel des connaissances, il n’y a aucune preuve directe de ce mode d’action. Par ailleurs, le BHT entraine une augmentation du poids des glandes surrénales dans différentes espèces de rat.
Les incertitudes décrites ci-dessus ont conduit le CES (comité d’experts spécialisé) à proposer d’inscrire le BHT au CoRAP 2016 (CoRAP : Community Rolling Action Plan ; auprès de l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques)).

Ces observations effectuées chez l’animal soulèvent la question de leur extrapolation à l’Homme ; et notamment pour des expositions à de faibles niveaux de concentration.

Le BHT sur la « liste des vigilances » de la Directive-cadre sur l’eau

Le BHT est inclus dans la « liste de vigilance » de la Directive-cadre sur l’eau depuis mars 2015. Cette liste concerne des substances soumises à surveillance à l’échelle de l’Union dans le domaine de la politique de l’eau. Elle contient 10 substances dont les informations disponibles indiquent qu’elles peuvent présenter un risque important, au niveau de l’Union Européenne, ou via le milieu aquatique. Mais, les données de surveillance seraient insuffisantes pour arriver à une conclusion sur les risques réels potentiels.

Une première proposition du CTIAP : déclaration de toute suspicion d’effets indésirables à la pharmacovigilance

La pharmacovigilance comporte notamment le signalement des effets indésirables « suspectés » d’être dus à un médicament.
Les cas des bébés, qui nous ont été signalés par ces mamans, ont fait l’objet d’une notification, par le CTIAP, au centre régional de pharmacovigilance (CRPV).
En France, il existe 31 CRPV. Ils ont une compétence territoriale. Les parents des bébés concernés sont donc invités notamment à se rapprocher de leur médecin et/ou leur pharmacien pour que ces derniers puissent effectuer la déclaration obligatoire, légale, de pharmacovigilance qui pèse sur eux.
Rappelons qu’au centre hospitalier de Cholet, des « Consultations effets indésirables médicamenteux et pharmacovigilance » sont possibles.

Une deuxième proposition : analyse de quelques données supplémentaires

Contrairement à ce qui est soutenu dans notamment la conclusion d’un article publié, en 2006, dans la Revue française d’allergologie et d’immunologie clinique sous le titre « Intolérances et allergies aux colorants et additifs » et selon lequel :

« En 1996, le titre d’une revue générale sur l’intolérance aux additifs évoquait la difficulté d’appréhender le sujet : « Intolérance aux additifs alimentaires chez l’enfant : mythe ou réalité ? » (…). En 2004, que reste-t-il de l’allergie aux additifs alimentaires ? C’est très certainement une réalité, bien étayée chez l’adulte, mais plus difficile à prouver en pratique courante chez l’enfant en raison de la lourdeur des explorations à mettre en œuvre. (…)
Malgré la tendance actuelle, dans les civilisations occidentales, du retour à la nature, pouvant déboucher au maximum sur « l’orthorexie nerveuse », nouveau trouble du comportement alimentaire décrit par les nutritionnistes, où la crainte de toute contamination des aliments (colorants et conservateurs compris) touche à la psychiatrie, les avantages qu’apporte en termes de protection anti-infectieuse la préservation des aliments par les additifs sont largement supérieurs aux réactions d’intolérance. Même la récente théorie hygiéniste ne justifie pas une alimentation sans ces substances, inoffensives en général et, pour la plupart des sujets, sans danger. »

En 2017, l’ANSES, elle, observe - et le CTIAP serait de cet avis – qu’« au cours des dernières décennies, diverses études scientifiques ont mis en évidence une évolution de la fréquence de pathologies (…). La compréhension du rôle joué par ces substances, dites « perturbateurs endocriniens », leurs modalités d’action, comme la part attribuable de leurs effets dans l’accroissement de ces pathologies, fait l’objet de controverses scientifiques et sociétales. (…) Les travaux réalisés montrent, en outre, que la sensibilité aux perturbateurs endocriniens peut varier selon les périodes de la vie. C’est notamment le cas de la période du développement foeto-embryonnaire, des nourrissons et des jeunes enfants, qui présentent une sensibilité accrue à ces substances ».

Concernant le BHT, Dans un ouvrage de référence en pharmacovigilance (Meyler’s Side Effects of Drugs ; The International Encyclopedia of Adverse Drug Reactions and Interactions ; Fifteenth Edition), il est noté notamment ceci :

« (…) Immunologic : It is impossible to decide from experimental findings in animals what the result will be of prolonged human exposure to low concentrations of such substances. Butylated hydroxytoluene causes various allergies ; symptoms of hay fever and asthma have been reported. Chewing gum should be considered as a possible cause of unexplained food allergy.
Butylated hydroxytoluene in chewing gum caused disseminated urticarial eruption in a young woman. An adverse drug reactions was ruled out, and the only recent dietary change had been regular use of chewing-gum containing Butylated hydroxytoluene. The skin lesions showed signs of vasculitis, with a perivascular cellular infiltrate, heavy extravascular deposition of fibrinogen, and intraendothelial deposits of IgM, C’9, C3, and C9. She stopped using the gum and within a week the eruption had subsided. An oral provocation test confirmed that Butylated hydroxytoluene was responsible, the cutaneous signs returning within several hours of rechallenge. »

D’autres publications sont disponibles. Citons notamment un article paru en 2018 : « Estrogenic and anti-estrogenic activity of butylparaben, butylated hydroxyanisole, butylated hydroxytoluene and propyl gallate and their binary mixtures on two estrogen responsive cell lines (T47D-Kbluc, MCF-7) » (J Appl Toxicol. 2018 Jul;38(7):944-957)

Une troisième proposition : l’approche toxicologique classique devrait-elle être remise en question ?

C’est l’ANSES, elle-même, qui ose écrire ce que certains scientifiques pensent : « Face à cette complexité, la connaissance des effets des perturbateurs endocriniens aux niveaux de concentration observés dans l’environnement se heurte aux limites de la toxicologie classique et des méthodes d’évaluation des risques. La question est donc d’en développer de nouvelles, adaptées aux spécificités de ces composés » que sont les perturbateurs endocriniens.
Il nous semble utile d’interroger notamment le concept de « la dose » et celui de la relation linéaire « dose-effet ». Selon son fondateur Paracelse : « Tout est poison et rien n’est sans poison ; la dose seule fait que quelque chose n’est pas un poison »… Ce principe ne serait, peut-être, plus aussi universel qu’il semble le prétendre. Peut-être que des effets plus intenses pourraient s’exprimer à une faible dose ? Et si l’effet d’un perturbateur endocrinien pouvait se manifester à une faible dose et disparaître à une plus forte dose ? Les études, souvent coûteuses et donc financées par des industriels, menées chez l’animal reflèteraient-elles réellement l’exposition chronique chez l’Homme à de faibles doses ? Les valeurs seuils fixées seraient-elles arbitraires ? Et comment interpréter les données lorsque les personnes sont exposées, par exemple au BHT, mais à d’autres substances chimiques en même temps ? Faudrait-il examiner les effets des substances une par une, ou les effets de leur combinaison : « l’effet cocktail » ? Etc.

Une quatrième proposition : intégrer les déterminants de la santé au système de santé en adoptant une approche globale, multidimensionnelle et interministérielle de la santé

Il nous semble donc nécessaire de prendre en compte également les déterminants de la santé tels que l’environnement, l’alimentation, les habitudes de vie, la culture, l’éducation, le développement de la petite enfance, le niveau de revenu, l’emploi et les conditions de travail, le patrimoine génétique, les services de santé et les services sociaux, etc.
L’ANSES considère que « la compréhension des effets des perturbateurs endocriniens demande ainsi d’adopter une vision intégrative en replaçant l’Homme dans son environnement, mais également de prendre en compte l’exposition de l’individu à un mélange de substances chimiques et de comprendre leurs interactions au sein de l’organisme humain sur le long terme, dès la période du développement foeto-embryonnaire ».

Conclusion

Enfin, le CTIAP poursuit ses recherches dans ce domaine des perturbateurs endocriniens. D’autant plus que la presse a relaté, le 15 janvier 2019, la stratégie des pouvoirs publics qui envisage de mettre les professionnels de santé en première ligne sur ce dossier relatif aux perturbateurs endocriniens.
D’ailleurs, nous rappelons qu’une intervention sur ce sujet est prévue le 12 février 2019 : « Demain,tous crétins ? » : documentaire suivi d’un débat ».








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