L’un des enjeux
actuels de la réforme du système de santé français consiste à répondre à la
question suivante : la liberté de choix permet-elle
une égalité d’accès aux soins ; et est-elle le moyen le plus approprié en
pareilles périodes de contraintes budgétaires ?
Selon la presse, et
notamment l’article d’Ouest-France paru le 2 février 2019 sous le titre « Déserts médicaux : la
proposition de loi Garot rejetée », la proposition de loi contenant « des
mesures d’urgence contre la désertification médicale » a été
rejetée par l’Assemblée nationale. Le texte rejeté concerne notamment la
régulation et l’installation des médecins. L’idée du député Mayennais, et
ancien Ministre, Guillaume Garot, porteur de ce texte, consiste à « réguler
l’installation de médecins et de les répartir harmonieusement sur le territoire
national ». Une telle régulation s’impose déjà, et depuis de très
nombreuses années, aux pharmaciens par exemple ; ce qui assure un maillage
territorial adapté aux besoins de la population. Le député constate que cette « proposition
de loi a été dépecée par la majorité et vidée de son contenu ». Un
autre journal, France Bleu, titre son article ainsi : « "Les lobbys
corporatistes" ont encore gagné face à la "détresse de citoyens sans
médecin" » et précise que le député Mayennais « accuse le gouvernement d’irresponsabilité ».
Un tel échec n’est
pas nouveau. Souvenons-nous, par exemple, de la mobilisation des internes en
2007 et des obstacles contre la régulation de cette installation initialement
prévue dans la loi Bachelot de 2009.
Afin de saisir les
conséquences d’un tel vote à l’Assemblée nationale, des éléments de
compréhension sont nécessaires. Le CTIAP propose donc à ses lecteurs les quelques
explications, non exhaustives, suivantes. Elles concernent notamment l’organisation de l’offre de soins en France.
Car la régulation de cette offre est la première
mesure à mettre en place avant même d’envisager l’augmentation des
cotisations maladie ou la baisse du niveau de remboursement. Car il s’agit d’un
bel exemple qui démontre que la pratique de l’espace peut générer des
inégalités.
Contrairement à l’idée souvent véhiculée, il
n’y a pas de pénurie de médecins en France
En France, la densité médicale, c’est-à-dire le
nombre de médecins par habitant est de 3,3
médecins pour 1 000 habitants selon les données 2012 de l’OCDE
(Organisation de coopération et de développement économiques). Dans les pays
développés, la moyenne se situe à 3,2.
Ce nombre est de 2,2 au Japon ; 2,5 aux États-Unis et au Canada ; 2,8
au Royaume-Uni. Ce chiffre atteint 3,8 en Espagne ; 3,9 en Suède et en Italie ;
4,0 en Allemagne.
Le problème réside
dans la répartition de cette offre médicale au niveau du territoire.
Le système de santé français basé sur au
moins cinq libertés
L’organisation et
le fonctionnement du système de santé français est fondé sur notamment cinq libertés.
La première est la
liberté du choix du médecin par le patient. Elle génère le nomadisme médical.
La deuxième est l’entente
directe entre le médecin et le patient. Le paiement des honoraires se fait
directement au médecin. Cela rend possible les dépassements d’honoraires
(secteur 2) et crée, par conséquent, une inégalité d’accès aux soins.
La troisième
concerne le paiement à l’acte qui augmenterait les dépenses de santé d’environ
11% par rapport aux autres modes de rémunération tels que le salariat, le
forfait, ou la capitation voire à la performance. Pourtant, les médecins généralistes français, payés à l’acte, ont un
revenu moyen moins élevé que celui des médecins généralistes britanniques payés
à la capitation et au forfait : environ 71 300 euros par an et
140 000 euros par an respectivement (année 2010).
La quatrième est la
liberté de prescription.
Enfin, la cinquième
porte justement sur la liberté d’installation des médecins à l’origine des
inégalités de densité médicale sur le territoire national.
Une liberté d’installation des médecins :
une rupture d’égalité dans l’accès aux soins ; une influence sur les conditions
de travail et sur les dépenses de santé
L’offre de soins est
inégalement répartie sur le territoire français. Dans les zones dites « sur-denses »,
la facilité d’accès aux soins et la concurrence entre les praticiens stimulent
la consommation des soins, et donc favorisent l’augmentation des dépenses de
santé qui ne sont pas toujours justifiées. À l’inverse, dans les zones « sous-denses »,
moins bien dotées, les conditions de travail des médecins et de l’accès à
certains soins se dégradent.
Ces inégalités sont
la conséquence directe de l’incapacité de l’État à réguler l’implantation des
médecins libéraux notamment.
Un accès aux soins primaires défaillant : un
report de la charge sur les urgences des hôpitaux publics
Lorsque l’offre de
soins primaires, de premier recours, est défaillante, le citoyen, notamment
vulnérable, n’a d’autres choix que de se rendre aux urgences de l’hôpital
public le plus proche. Un tel contournement des soins primaires contrevient au
respect du parcours de soins coordonné par le médecin traitant, encombre les
urgences hospitalières, et génère une augmentation des dépenses de santé car
les soins hospitaliers sont plus coûteux que les soins ambulatoires.
Le paradoxe français
En Allemagne, la
régulation de l’offre de soins utilise la négociation. Aux États-Unis, elle
emprunte les mécanismes d’ajustement de l’offre et de la demande. En Grande-Bretagne,
c’est l’État qui régule.
En France, cette
régulation semble très difficile du fait notamment des cinq libertés ci-dessus
mentionnées, de la confusion des rôles, de la dilution des responsabilités
entre l’État et l’Assurance maladie, et de la prolifération des strates
administratives à tous les échelons du système.
Ce vote de l’Assemblée
nationale encourage donc les inégalités territoriales. En favorisant la
concurrence pour réguler l’offre et la demande, il contribue à l’augmentation
des dépenses de santé en créant une rupture d’égalité au détriment des plus
vulnérables. Cette position est tout à fait paradoxale. D’autant plus, et sous
l’impulsion des organismes internationaux (tels que l’OMS (Organisation
mondiale de la santé), le FMI (Fonds monétaire international), la Banque
mondiale, l’OCDE), que les politiques s’orientent plutôt vers l’adaptation des
systèmes de protection sociale à des politiques économiques qui ne sont plus
Keynésienne. Désormais, ces politiques sont focalisées sur l’offre de soins et
non plus sur la demande des soins. Elles sont basées sur une logique budgétaire
et sur la chasse aux déficits publics.
Ce vote de l’Assemblée nationale : une
aggravation des inégalités sociales de santé
L’absence chronique
de régulation de l’offre de soins ne peut que venir aggraver les inégalités
sociales de santé. Elle creuse les écarts entre les sous-groupes d’une même
population. Elle crée un gradient social territorial en plongeant une partie
des citoyens dans un état de précarité et de pauvreté : ils ne peuvent pas
accéder de la même manière à un médecin. Ils n’ont pas la même égalité dans les
opportunités d’accéder à ces soins selon leurs besoins. Il s’agit bien d’une
iniquité en santé. Elle viendra s’ajouter à la liste des autres déterminants de
la santé à l’origine d’une rupture d’égalité concernant pourtant un bien
supérieur : la santé.
Conclusion
L’égalité d’accès
aux soins semble contradictoire avec la liberté des acteurs.
Malgré la
connaissance de l’impact déterminant de la répartition de l’offre de soins sur
la qualité des soins et sur la maîtrise des deniers publics, l’Assemblée
nationale fait obstacle à la mise en place d’une mesure, portée par ce député
Mayennais, poursuivant un but d’intérêt général.
Parallèlement,
cette même Assemblée nationale n’a pas hésité à prendre des mesures coercitives
plaçant la santé des citoyens sous tutelle ; tout en culpabilisant ces mêmes
citoyens.
Cette Assemblée
nationale semble protéger un intérêt général de circonstances.
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