Le 7 juin 2020, le journal LE POINT publie une réflexion proposée
sous le titre « TRIBUNE. Ce qui est refusé au professeur Didier Raoult est permis à d’autres ». Dans la
continuité de cette réflexion, il y a lieu de rappeler quelques astuces, tirées
de la pratique, qui ont été utilisées dans le but de présenter un « nouveau » médicament comme
une « innovation » thérapeutique,
alors même que ce produit n’apporte rien de plus par rapport à ce qui existe
déjà sur le marché : aucune amélioration du service médical rendu (ASMR).
Ces astuces sont repérables avant le début d’un essai clinique (chez l’Homme),
pendant cet essai, et après cet essai. Ces exemples, ci-dessous proposés, ne
sont pas exhaustifs : ce sont simplement quelques indices qui pourraient
permettre au public d’appréhender davantage le domaine complexe du médicament
et de son évaluation. Comme à l’accoutumée, notre démarche s’inscrit dans un
cadre pédagogique poursuivant un objectif d’information et de formation
destinées notamment au public.
Évaluation
d’un nouveau médicament : une hiérarchie dans les niveaux de preuve en
médecine
À l’image de la hiérarchie des normes en droit, il existe une
hiérarchie des niveaux de preuve en médecine (médecine fondée sur les preuves).
Depuis la nouvelle maladie (Covid-19) liée au nouveau coronavirus (SARS-CoV-2),
qui a notamment opposé les pro-hydroxychloroquine aux anti-hydroxychloroquine,
le public a découvert l’existence de l’essai
comparatif randomisé en double aveugle. Cet essai occupe le sommet de cette
hiérarchie des niveaux de preuve : il est situé juste en-dessous des
méta-analyses (des synthèses méthodiques) ; et il surplombe les autres
niveaux de preuve tels que les études de cohortes, les études cas-témoins, les
enquêtes transversales, les études de cas. Comparatif,
car il compare le nouveau produit que l’on teste par rapport au placebo (un
produit ne contenant aucun médicament) ; et par rapport à un médicament de
référence (si ce dernier existe). Randomisé,
cela signifie que les individus, inclus dans l’essai, sont répartis au hasard dans
ces deux ou trois groupes (bras) : bras nouveau produit testé, bras placebo,
bras médicament de référence. En double
aveugle, c’est-à-dire que ni l’évaluateur ni les sujets inclus dans l’essai
ne connaissent la nature du produit dispensé dans ces trois bras de l’essai. En
principe, ce type d’essai fournit des résultats solides. Mais, parfois, ces
résultats sont discutables. Parfois, une étude de cohorte bien menée est
préférable à un essai comparatif randomisé en double aveugle effectué de façon
inappropriée. Il y a donc lieu de ne pas prendre de haut ces autres niveaux de
preuve mis à la disposition de la médecine.
Essai
comparatif randomisé en double aveugle : quelques inconvénients et biais
cachés
Même l’essai situé au sommet de la pyramide des niveaux de preuve
peut présenter quelques inconvénients et des biais cachés. Par exemple, son
coût peut être élevé, ce qui limite sérieusement les entités qui sont capables
de financer de telles recherches. Il peut aussi nécessiter beaucoup de temps.
Par ailleurs, d’autres limites peuvent concerner la taille de l’échantillon, la
durée de l’essai, les critères de jugement choisis (des critères simplement
intermédiaires au lieu de choisir un effet clinique sur la mortalité et la
morbidité (complications liées à la maladie) plus pertinent), la répartition
des individus entre les groupes qui peut être réalisée de façon inadéquate,
l’exclusion de certains sujets qui remplissent pourtant les critères
d’inclusion, le non-respect du double aveugle (connaissance par l’évaluateur de
l’appartenance de tel individu à tel bras de l’essai), etc. Quelques exemples supplémentaires
permettent de nourrir la réflexion.
Quelques
exemples supplémentaires
Le nouveau produit, que l’on souhaite tester, a une structure
chimique qui laisse présumer la survenue d’un effet indésirable lors de
l’exposition du patient au soleil. L’essai pourrait alors être conduit en
période hivernale ou dans un coin du monde moins ensoleillé, ce qui pourrait limiter
le risque de cet effet indésirable.
Un médicament de référence existe, mais l’essai ne prévoit pas de
comparer le nouveau produit testé avec ce médicament de référence : le
nouveau produit n’est comparé qu’au placebo. Et si l’essai prévoit cette comparaison
avec le médicament de référence, ce dernier est utilisé à une dose inférieure à
celle recommandée : ce qui permet de minimiser l’efficacité du médicament de
référence par rapport à celle du nouveau produit testé.
Dans le cas où les groupes ne sont pas comparables, et si les
différences sont en faveur du nouveau produit testé, l’ajustement nécessaire
n’est pas réalisé.
Les sujets sortis de l’essai, les perdus de vue, les
non-répondeurs, les effets indésirables graves, les décès, etc. ne sont pas
clairement indiqués.
Les intervalles de confiance, cette fourchette des valeurs qui
encadre la valeur moyenne, ainsi que les données brutes, individuelles, ne sont
pas accessibles.
Les éléments du protocole de l’essai, qui sont obligatoirement
définis et fixés avant le début de cet essai, sont finalement modifiés en cours
d’essai : la durée de l’essai est raccourcie ou allongée ; l’analyse est
effectuée sur un objectif secondaire avant sa réalisation sur l’objectif
principal ; la méthode statistique initialement choisie est
rectifiée ; etc.
Si les résultats, portant sur l’objectif principal de l’essai, ne
sont pas probants (ne sont pas ceux espérés), l’ordinateur devient un
allié : il peut aider à identifier un sous-groupe d’individus chez lequel
le nouveau produit testé pourrait avoir un certain intérêt. Et au lieu de
refaire un nouvel essai de façon rigoureuse pour tester cette hypothèse, la
conclusion est directement rendue en faveur du nouveau produit. L’hypothèse
devient une affirmation sans avoir effectué un nouvel essai rigoureux.
Les résultats défavorables au nouveau produit ne sont pas publiés.
Les résultats d’autres études pilotes sont inclus dans l’essai :
l’illusion dessine alors un essai qui a été mené sur un grand nombre de sujets.
Certains seraient devenus des vendeurs d’émotions autant que de médicaments
Après les essais cliniques, effectués dans un cadre défini par la
loi (au sens large), le nouveau produit peut obtenir une autorisation de mise
sur le marché (AMM) et être admis au remboursement ; même s’il n’apporte
aucune amélioration du service médical rendu (ASMR). Sa promotion peut donc se
faire, se poursuivre, selon plusieurs moyens.
L’impact visuel du message est bien préparé par des graphistes.
Des brochures colorées n’indiquent ni la signification des axes (abscisses,
ordonnées) des graphiques, ni les échelles (linéaire ou logarithmique). Les
données de pharmacovigilance (effets indésirables) nationale et internationale
ne sont pas clairement précisées à l’interlocuteur. Le discours, centré
principalement sur l’efficacité prétendue du nouveau produit, use d’un
vocabulaire élogieux du style « le
nouveau produit est meilleur que le médicament de référence » alors
même que ce nouveau produit n’a été comparé qu’au placebo ; ou alors au
médicament de référence administré à une dose inférieure à la dose recommandée.
Quelques célébrités médicales, pharmaceutiques, politiques, etc. sont utiles à
la promotion de ce nouveau produit. Un communiqué de presse signé par plusieurs
personnalités, appartenant éventuellement à telle ou telle société savante ou
association de patients voire à des syndicats, aide à la diffusion du bruit
commercial. À l’hôpital, des échantillons de ce nouveau produit sont proposés
au prescripteur, et parfois même sans en informer le pharmacien. Une rencontre
avec des responsables politiques peut accélérer l’affaire. Par exemple,
l’expérience montre qu’un ministre de la santé a pu annoncer l’inscription au
remboursement d’un nouveau produit avant même que l’autorité ad hoc n’ait rendu son avis sur le
rapport bénéfice/risque de ce nouveau produit. La peur, même non fondée, de
telle ou telle maladie serait devenue un argument de vente. L’émotion aurait
été placée au sommet des pyramides concernant aussi bien la hiérarchie des
normes en droit que celle relative aux niveaux de preuve en médecine. Certains seraient devenus des vendeurs d’émotions autant que de médicaments.
Des
astuces identifiées avant le début des essais
La part d’argent investie dans le marketing semble supérieure à
celle consacrée à la recherche. Alors, si la recherche est en manque
d’inspiration, qu’elle éprouve quelques difficultés à trouver une nouvelle et
vraie molécule prometteuse qui peut révolutionner le sort d’une maladie,
l’imagination n’a point de limites.
Un
premier exemple
Citons un premier exemple. Pour suppléer à cette carence de la
recherche, certains n’auraient pas hésité à ouvrir le tiroir, celui de la
bibliothèque des molécules identifiées et stockées ; et d’en ressortir une
vieille substance qui n’a jamais été commercialisée. Celle-ci avait une
activité anti-inflammatoire comparable à celle des autres médicaments
anti-inflammatoires qui, eux, étaient déjà commercialisés.
Pour présenter cette nouvelle molécule comme une innovation, l’astuce
a été de proposer un mécanisme d’action
séduisant : une façon d’agir de cette molécule qui la distingue des
autres anti-inflammatoires. Cette astuce était la suivante : cette
molécule agit de façon sélective sur
un récepteur bien particulier, tout
en épargnant les autres récepteurs, ce qui la distingue des anti-inflammatoires
classiques déjà commercialisés. Ce mécanisme d’action original est réel en
théorie ; il tient sur le plan intellectuel et se vérifie au niveau expérimental
(sur une paillasse, dans une éprouvette, etc.).
Dès cet instant, un argument de vente jaillit : eu
égard à cette sélectivité d’action in vitro vis-à-vis de ce seul récepteur,
cette nouvelle molécule n’était pas censée provoquer les graves effets
indésirables digestifs connus sous les autres anti-inflammatoires tels que les
hémorragies et les perforations digestives. Les prescripteurs n’avaient donc
plus besoin d’associer un protecteur gastrique (de l’estomac) pour prévenir ces
effets néfastes, ce qui permet à la collectivité (sécurité sociale
notamment) de faire des économies. Ces dépenses évitées ont justifié alors la
vente de ce « nouveau »
anti-inflammatoire à un prix supérieur à celui des anti-inflammatoires
classiques. Tout ce raisonnement est vrai, en théorie, au niveau expérimental. Mais,
une vérité expérimentale ne se vérifie pas toujours chez les patients.
En pratique clinique, chez les patients, dans la vraie vie,
lorsque ce « nouveau »
anti-inflammatoire a été prescrit selon les modalités ci-dessus précisées,
lorsqu’il a été introduit dans le corps humain, ladite sélectivité d’action ne s’est pas vérifiée : elle n’a été finalement
que relative, son caractère absolu s’est évaporé ; les hémorragies et
perforations digestives ont été constatées ; les médecins ont dû finalement
associer un protecteur gastrique ; le coût s’est envolé ; de nouveaux
effets indésirables graves ont été découverts (cardiaques) ; des plaintes
ont été déposées par les victimes ou par les familles des patients
décédés ; le médicament fut finalement retiré du marché mondial.
Un
deuxième exemple
Un deuxième exemple livre une autre astuce. Il y a quelques
années, un médicament utile est commercialisé. Mais, au bout d’un certain
temps, son brevet arrive à son terme : il tombe dans le domaine public. Il
est donc menacé par l’arrivée des médicaments génériques. Que faire pour garder
une part du marché ? L’idée est ingénieuse. Ce médicament est, en réalité,
un produit racémique ; c’est-à-dire qu’il est composé de deux substances
jumelles (images en miroir) : la substance Lévogyre et la substance Dextrogyre.
Or, en réalité, ce médicament racémique ne doit son activité (rapport
bénéfice/risque) qu’à la seule substance Lévogyre ;
l’autre substance (Dextrogyre), elle,
est sans intérêt. Alors, il suffit d’extraire et de commercialiser cette
substance Lévogyre, la seule active, sous
un nouveau nom commercial, en la présentant comme une « innovation » thérapeutique. La part du marché
convoitée est préservée ; et le générique est concurrencé.
Pour une
évaluation correcte d’un « nouveau »
produit
Cette liste n’est pas exhaustive. D’autres astuces existent. Leur
compréhension est plus délicate, car elle requiert notamment quelques notions
techniques complexes qui sont enseignées en particulier dans le domaine des
statistiques appliquées à la médecine. Mais, globalement, la liste proposée ici
pourrait suffire à sensibiliser nos lecteurs à ces autres facettes qui
concernent le riche et complexe domaine du médicament et de son évaluation.
Certains professionnels de santé ont suivi des formations spécifiques qui leur
permettent de repérer ces manœuvres. L’analyse du dossier d’un médicament
nécessite un temps non négligeable, qui n’est pas toujours pris pour évaluer
correctement l’intérêt d’un « nouveau »
produit.
En
conclusion, une « nouveauté »
médicamenteuse n’est pas, nécessairement et systématiquement, une « innovation » thérapeutique.
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