L’actuelle affaire
Hydroxychloroquine appelle plusieurs observations. Nous proposons la réflexion
suivante.
En l’an 2020, un
nouveau coronavirus (sars-cov-2) est identifié comme étant à l’origine d’une
nouvelle maladie (covid-19). L’affaire Hydroxychloroquine se déclenche alors
suite à la révélation du protocole Hydroxychloroquine-Azithromycine. Ce
protocole est utilisé par l’institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille
dans le traitement de cette nouvelle maladie. Cet IHU est dirigé par le
professeur Didier Raoult. De façon légitime, des scientifiques reprochent à
l’équipe marseillaise de ne pas avoir respecté la méthodologie habituelle qui
permet d’établir la preuve clinique de l’efficacité de son protocole. Les échanges
se déroulent publiquement, et de façon transparente, à travers les médias
notamment. Ils permettent au public de mieux comprendre les difficultés
auxquelles sont confrontés les scientifiques ; ils contribuent à l’information
et la formation des populations dans le domaine complexe du médicament.
Dès le début de
cette affaire, nous avions proposé un moyen qui aurait permis de sortir de
cette impasse : associer le principal concerné, c’est-à-dire les patients
et le public (patients potentiels), au choix de l’attitude à adopter mais sous
deux conditions cumulatives : une information claire, loyale et appropriée
sur le rapport bénéfice/risque de ce médicament en vue de recueillir le
consentement libre et éclairé des patients ; et l’administration éventuelle
de ce traitement dans un cadre contrôlé tel que celui des essais cliniques ou
celui des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) de cohorte ou
nominative.
En 2020,
l’Hydroxychloroquine a été inscrite sur liste. Cela signifie que ce médicament
ne peut plus être dispensé sans prescription médicale. Cette décision n’est pas
une anomalie, elle est au contraire une correction d’anomalie. De même,
réserver cette prescription à certains spécialistes n’est pas une décision
inédite ciblant spécifiquement et uniquement l’Hydroxychloroquine : la prescription
restreinte concerne d’autres médicaments dont certains sont, en plus, réservés uniquement
à l’usage hospitalier. Il y a lieu de rappeler ces faits.
Une différence de traitement
Mais, l’exigence et
la rigueur opposées à l’Hydroxychloroquine contraste terriblement avec les
libertés accordées à d’autres médicaments. La différence de traitement est
saisissante.
Un vaccin promu avant même sa naissance : avant la
connaissance de son rapport bénéfice/risque
En premier lieu,
remarquons que le vaccin attendu, censé protéger contre cette maladie, est déjà
promu, vendu, dans les médias ; pourtant, nous n’avons encore aucune
donnée validée et vérifiable sur son rapport bénéfice/risque : sur ladite
preuve clinique réclamée avec insistance, et c’est peu dire, à l’équipe
marseillaise.
Un cas d’école
En deuxième lieu,
nous souhaitons rappeler quelques faits marquants, non exhaustifs, concernant
un autre médicament censé prévenir la survenue d’un type de cancer chez
les femmes ; un cas d’école. Un ministre de la santé annonce son remboursement
alors même que la commission de la transparence de la haute autorité de santé
(HAS) n’a pas encore rendu son avis sur le rapport bénéfice/risque. Une fois
rendu, l’avis de cette autorité affirme que la preuve clinique de l’efficacité
de ce médicament, dans la prévention du cancer en question, n’est pas apportée
et que des incertitudes demeurent ; que ce cancer a commencé à diminuer
avant l’arrivée de ce médicament. Une revue indépendante confirme que cette
efficacité n’est pas démontrée, qu’elle est simplement hypothétique. Ce
médicament obtient pourtant l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Lors de
la publicité faite pour ce produit, une manipulation de l’information est
relevée par l’agence française de sécurité sanitaire ; puis notée dans le
journal officiel de la République française (JORF). Cette publicité est
interdite. Mais, la promotion de ce produit se poursuit par d’autres
moyens : certaines célébrités médicales, sociétés savantes, etc. qui
oublient de signaler, au public, leurs liens et conflits d’intérêts. Parmi ces
personnalités, figure un pédiatre qui a déjà été condamné par la chambre de
discipline de la première instance de l’ordre des médecins (nous ignorons s’il
a interjeté appel de cette décision). Le juge ordinal a prononcé « la sanction de l’avertissement »
à son encontre : il considère qu’en violation des obligations de l’article
L.4113-13 du code de la santé publique, ce médecin « n’a pas fait mention de ses liens d’intérêt, qui sont
patents » avec plusieurs laboratoires pharmaceutiques. L’association
qui a porté plainte auprès de l’ordre reprochait aussi à ce médecin d’avoir « tenu des propos mensongers »
sur les produits dont il faisait la promotion, mais le juge ordinal considère « qu’à supposer même qu’ils seraient
mensongers, ainsi qu’il est prétendu, les propos en cause ne sauraient être
regardés comme constitutifs d’un manquement déontologique susceptible d’être
sanctionné disciplinairement ». Un groupe de médecins et pharmacien
indépendants tente de répondre de façon utile et contradictoire, en exigeant
notamment cette même preuve clinique réclamée, avec acharnement, au directeur
de l’IHU et en sollicitant un moratoire ainsi qu’une enquête parlementaire.
Seuls quelques médias acceptent de parler de cette réponse contradictoire. Un
journaliste ose même qualifier ces praticiens indépendants de « terroristes ». Pis encore,
une autre commission de ladite HAS, distincte de la commission de la
transparence, décide de généraliser l’administration de ce médicament aux
garçons ; elle lance alors une consultation publique, mais les
professionnels de santé sont exclus : ils n’ont pas le droit de participer
directement à cette consultation en donnant leur avis sur le rapport
bénéfice/risque de ce produit alors même qu’ils engagent leur responsabilité.
Dans son communiqué publié à cette occasion, lorsqu’elle évoque le bénéfice escompté
de ce médicament, cette HAS utilise le conditionnel :
un signe de doute et de prudence. L’organisation mondiale de la santé (OMS)
appelle les États à suspendre ce projet chez les garçons. Mais, ce produit
continue de prospérer. Des expérimentations sont même menées en milieu
scolaire. L’obligation d’une information claire, loyale et appropriée ainsi que
celle du recueil d’un consentement libre et éclairé des destinataires de ce
médicament ne sont pas respectées. L’information délivrée au public n’est pas
équilibrée.
Pour le surplus
En troisième lieu,
de nombreux autres médicaments sont régulièrement mis sur le marché, parfois
selon une procédure accélérée devenue de plus en plus fréquente, alors qu’ils
n’apportent rien de nouveau ; alors que le rapport bénéfice/risque n’est
pas suffisamment évalué. Certains de ces produits sont même plus dangereux
qu’utiles. La revue indépendante Prescrire
publie chaque année la liste de ces médicaments à écarter. Pourtant, ces
produits continuent de sévir.
Oui, ce qui est
refusé à l’IHU de Marseille est permis, toléré, accepté pour d’autres.
Le contexte : un élément constitutif
du médicament
Mais, contrairement
aux autres qui prennent quelques libertés avec la santé des gens alors qu’ils
se trouvent dans un cadre de fonctionnement normal, de paix, qui ne requiert
aucune urgence, l’équipe du professeur Raoult, elle, à sa décharge, peut
prétendre à des éléments pour le moins exceptionnels : nous voulons parler
du contexte qui a conduit cette équipe à emprunter une telle voie inhabituelle.
Nier ce contexte reviendrait à amputer la définition même d’un médicament de
l’un de ses éléments essentiels. Nous savons qu’un médicament va de pair avec
son environnement : la contextualisation du traitement proposé au patient
semble presque aussi déterminante que le principe actif lui-même. Qui peut oser
contester l’efficacité du placebo et
remettre en cause l’effet nocebo dans
certaines situations ?
Le contexte
concernant l’Hydroxychloroquine mérite donc d’être rappelé : un microbe
invisible et jusqu’alors inconnu, une alerte mondiale, une situation d’« urgence », même de « guerre » selon les termes du
président de la République lui-même, une communication au ton macabre de façon
quotidienne, des centaines de morts par jour, un État dépourvu des moyens
élémentaires de protection, des professionnels de santé exposés au risque et
insuffisamment protégés, des informations contradictoires voire inexactes
diffusées, une incertitude, une peur injectée dans les esprits, la peur de la mort, le refus même de la mort, mais uniquement de cette mort liée à la covid-19, un confinement généralisé, une garde à vue sanitaire de toute la population, des atteintes à certaines libertés fondamentales, presque toutes les activités sont mises en berne, tous les calendriers sont perturbés, une méconnaissance des autres déterminants de la santé, l'oubli de ce qu'est la définition de la santé selon l'organisation mondiale de la santé (OMS) : un « état de complet bien-être physique, psychologique et social », le corps humain est vidé de son âme et isolé de son environnement social, les savants dictent le rythme de la vie, notre corps appartiendrait à la nation, une activité antivirale in vitro et un effet anti-inflammatoire de cette molécule (principe actif), une présomption simple d'efficacité sur ce nouveau virus et un commencement de preuve, une absence de solutions autres, une information déjà
effectuée auprès du principal concerné : le patient, le public.
Un exemple pédagogique de pharmacologie
sociale : peut-être le lieu d’une conciliation possible
Le ressenti du
patient compte. Il a même été réhabilité par la HAS lors de l’autre et récente affaire :
celle concernant le Lévothyrox®. Ce ressenti est devenu l’un des critères
d’évaluation du médicament. La personnalité du professeur Raoult, sa conviction
affichée et sa volonté mise en œuvre de façon énergique jouent un rôle
significatif aux yeux des patients, dont certains élus.
Au fond, cette
affaire Hydroxychloroquine vient révéler ce qu’est la pharmacologie sociale. La prise en compte de cette nouvelle
dimension de la pharmacologie pourrait contribuer à la conciliation entre les pro-Hydroxychloroquine et les anti-hydroxychloroquine. La pharmacologie sociale prend en compte la perception que le public se fait de tel
ou tel médicament. Cette perception comprend une part d’irrationnel d’un point
de vue scientifique. Cette pharmacologie sociale
vient concurrencer les autres dimensions, plus classiques, de la
pharmacologie : pharmacologie fondamentale,
pharmacologie clinique, pharmacovigilance, pharmacogénétique, pharmacologie boursière… Cette nouveauté est là, sous nos yeux. Elle devient de
plus en plus macroscopique, de plus en plus visible, dans le paysage sanitaire
à travers plusieurs affaires concernant tel ou tel médicament. Cette dimension
est créée, exprimée de façon implicite ou expresse, par le principal
concerné : le patient. Il y a lieu de ne pas la négliger, et encore moins
la mépriser. La situation amène donc à s’interroger sur la place de cette
nouvelle donnée : de son interaction avec les autres pharmacologies.
L’entre-soi semble relever d’une époque révolue.
Un filtre académique et des autorités ad hoc discrédités
Il est reproché à
l’IHU de Marseille de ne pas avoir respecté le filtre académique. Il y a lieu
de s’interroger sur l’efficacité, la sécurité et le coût d’un tel filtre.
L’exemple suivant est édifiant. Il date de quelques jours. The
Lancet, l’une des revues scientifiques les plus prestigieuses avec comité
de lecture, et elle n’est pas la seule, vient de publier une étude censée
démontrer un rapport bénéfice/risque défavorable pour l’Hydroxychloroquine. Sur
la base de cette publication, le ministre des solidarités et de la santé, qui
est aussi médecin, saisit un groupe d’experts. Ces derniers sont invités à
rendre un avis au ministre sur le contenu de cette publication internationale.
La décision tombe rapidement : la prescription de ce médicament doit
cesser. Les médecins sont avertis voire menacés de sanctions. L’organisation
mondiale de la santé (OMS) recommande l’arrêt des essais cliniques en
cours ; l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) suit. Ces
essais sont stoppés. Mais, quelques jours après, suite aux observations
formulées par des experts d’en bas, ladite revue The Lancet dénonce, elle-même, ce qu’elle vient de publier. Alors,
les suiveurs suivent à nouveau, mais dans l’autre sens cette fois : les
essais cliniques peuvent reprendre. Il y a donc lieu de soulever les deux
questions suivantes : ces experts d’en haut, placés dans toutes ces hautes
instances, qui dictent au monde entier ce qui est bien et ce qui est mal pour
notre santé, ont-ils lu l’étude publiée avant de rendre leur décision ? Si
oui, ces experts seraient soit incompétents soit de mauvaise foi, soit les deux
à la fois. Si non, pourquoi avoir accepté cette publication sans lecture
sérieuse préalable ? Dans ces quatre cas, c’est, pour le moins, inquiétant pour
la sécurité des populations. Le 4 juin 2020, nous apprenons que trois des
quatre auteurs de cette publication, eux-mêmes, se rétractent. Un trou dans le
filtre académique ? En réalité, la lecture critique d’une étude, d’un
essai clinique, d’une publication… n’est pas accessible à tous les
professionnels de santé, fussent-ils médecins, pharmaciens, experts désignés,
etc. Par ailleurs, nous connaissons certains aspects, étrangers à la science, qui
influencent sur la décision de publier des travaux de telle ou telle équipe
dans telle ou telle revue.
L’éthique, la morale et la loi
Une autre question,
d’ordre éthique, se pose : un médecin, qui bénéficie d’une indépendance
professionnelle dans l’exercice de son art, doit-il respecter ce filtre
académique incertain de façon absolue et quelles que soient les
circonstances ?
Par ailleurs, ce
protocole devrait-il être administré à toute la population alors que seulement
une faible partie de cette population, avec des facteurs de risque et plus
fragile, peut développer une forme grave de la covid-19 voire décéder à la
suite de cette nouvelle maladie ?
L’éthique relève
d’une sensibilité individuelle ; la morale, elle, s’inscrit dans une
appréciation collective et notamment professionnelle. Par contre, la loi est
générale et impersonnelle ; c’est elle qui régule les rapports dans une société.
Une conclusion
Une célébrité
médicale, un expert d’en haut, une prestigieuse revue scientifique, un filtre
académique, une voix d’autorité, un sondage d’opinions, une pluralité d’utilisateurs…
ne sauraient être des critères sérieux d’évaluation indépendante d’un
médicament. Nous le disons et nous l’écrivons de longue date, bien avant cette
affaire hydroxychloroquine. À nouveau, la preuve est apportée. Cette fois, elle
est visible et comprise par le principal concerné : le patient, le public.
Pour l’instant, la preuve clinique attendue, permettant d’apprécier rigoureusement
le rapport bénéfice/risque du protocole marseillais dans cette nouvelle maladie,
n’est toujours pas livrée. Mais, le traitement spécial réservé à l’IHU de
Marseille diffère de la souplesse habituelle accordée à d’autres ; et les
comportements ciblant la personne de Didier Raoult nous semblent inappropriés.
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