Comme annoncé, notamment par Ouest-France et le
Courrier de l’Ouest, nous nous sommes retrouvés au cinéma de Beaupréau, une
petite ville située dans le Maine-et-Loire à quelques kilomètres de Cholet. La
séance s’est déroulée en trois temps : la projection du film « La
fille de Brest », une intervention, puis un échange avec le public.
Les points forts de cette intervention sont les
suivants.
Un premier indice : la structure chimique du benfluorex
(MÉDIATOR®)
Commençons par contempler la structure chimique,
c’est-à-dire le squelette, d’une amphétamine et de ces trois médicaments
dérivés de l’amphétamine : PONDÉRAL® (fenfluramine), ISOMÉRIDE®
(dexfenfluramine) et MÉDIATOR® (benfluorex).
Trois médicaments donnant naissance à un même produit toxique : la
norfenfluramine
Ces trois médicaments, ces trois substances
cousines, une fois administrées dans le corps humain, donnent naissance à un même produit dérivé (un métabolite) : la norfenfluramine.
Cette norfenfluramine est à l’origine des ennuis
des patients. Sa toxicité et son lien avec les valvulopathies (troubles des
valves du cœur) et l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) ont été
progressivement établis depuis 1994…
Un nom révélateur
Le MÉDIATOR® n’est qu’un nom commercial.
Intéressons-nous plutôt à son vrai nom (dénomination commune internationale
(DCI)) : benfluorex.
Ce suffixe « orex » classe ce produit
parmi les anorexigènes selon la
nomenclature de l’OMS (organisation mondiale de la santé). En clair, le
MÉDIATOR® est un coupe-faim
amphétaminique.
Mais, curieusement, en France, il n’est pas classé
comme tel (comme anorexigène). Cette lacune lui épargne les exigences d’une
prescription restreinte. Mais, un arrêté du 25 octobre 1995 le fait figurer
dans la liste des anorexigènes que le pharmacien ne peut utiliser pour réaliser
des préparations magistrales. Puis, en 1997, le dictionnaire VIDAL® des
médicaments le fait apparaître dans la liste des substances dopantes parmi les « amphétamines
et autres excitants ».
Une chronologie des faits pour le moins surprenante
Le MÉDIATOR® obtient l’autorisation de mise sur le
marché (AMM) le 16 juillet 1974. Il est commercialisé le 1er
septembre 1976.
1994-1995 : la littérature scientifique commence à identifier un lien entre
le PONDÉRAL® (fenfluramine) et des atteintes valvulaires cardiaques.
1995 : le benfluorex (MÉDIATOR®) est interdit dans les préparations
magistrales comme dit précédemment.
Septembre 1997 : le PONDÉRAL® (fenfluramine) et
l’ISOMÉRIDE® (dexfenfluramine) sont retirés du marché français ; mais pas
le (MÉDIATOR®)…
Septembre 1999 : les anorexigènes sont retirés du marché à
l’initiative de l’agence européenne du médicament.
1998 : le benfluorex (MÉDIATOR®) est retiré du marché
Suisse.
2003 : le benfluorex est retiré du marché Espagnol à la
demande du laboratoire pharmaceutique, lui-même.
2005 : le benfluorex est retiré du marché Italien car
la firme n’a pas demandé le renouvellement de l’AMM.
L’inertie française
En cette année 2005, un bilan de l’AFSSAPS (agence
française de sécurité sanitaire des produits de santé) fait état de 17 cas
d’HTAP (hypertension artérielle pulmonaire) et de « 0 » cas de
valvulopathies.
Onze ans plus tard, en 2016, le bilan est d’une
autre nature. L’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament), nouveau nom
de l’AFSSAPS, recense les cas observés de 1976 (date de commercialisation) à
2015. On relève : 11 cas de
fibrose pulmonaire qui parfois est accompagnée de valvulopathies et
d’HTAP ; 6743 cas de
valvulopathies (plusieurs valves sont concernées et en particulier l’aortique
et la mitrale ; fuite valvulaire) ; 69 décès sont observés après les opérations chirurgicales de
remplacement des valves ; 1273 cas
d’HTAP souvent diagnostiquées au bout de 9 ans (délai médian) ; troubles
neuropsychiques…
Un retrait tardif en 2010
En France, l’AMM du benfluorex (MÉDIATOR®) ne sera suspendue
que le 24 novembre 2009. Le retrait du marché n’est acté que le 20 juillet
2010.
Année 2011 : un rapport accablant de l’IGAS (inspection générale
des affaires sociales)
Ce rapport de l’IGAS décrit une bureaucratie
sanitaire ; un principe de précaution fonctionnant à rebours ; plusieurs
instances sanitaires, un cloisonnement, un fonctionnement complexe, un système
lent, peu réactif, une dilution des responsabilités ; une réévaluation du
rapport bénéfice/risque qui relève de l’exceptionnel ; une recherche de
consensus qui retarde la prise de décision ; des demandes successives
d’études à l’origine d’un effet pervers grave ; un doute qui bénéfice aux
firmes et non pas aux malades ; une accoutumance au risque ; un poids
des liens et conflits d’intérêts des experts ; une AFSSAPS qui se trouve
dans une situation de conflit d’intérêts structurelle et culturelle.
Équipe Brestoise face au laboratoire pharmaceutique : une bataille
entre les études
L’équipe Bretonne du centre hospitalier
universitaire (CHU) de Brest choisit, eu égard au contexte et à l’urgence, la
méthode des études « cas-témoins ». C’est la solution des
« pauvres » comme cela est rappelé dans le film. C’est une étude
rétrospective. Une fois la maladie constatée (valvulopathie) chez des patients,
on ressort les dossiers et on cherche à répondre à la question : le
MÉDIATOR® peut-il provoquer ces effets indésirables ? Ces études explorent
l’étiologie d’une maladie (ce qui provoque son apparition) et non ce qui permet
de la traiter. Dans l’échelle des niveaux de preuve, ces études occupent une
place relativement basse dans la hiérarchie. Ce que l’équipe Brestoise savait
et que le laboratoire n’a pas manqué de souligner. De plus, ce type de
protocole cherche à identifier une association entre le médicament et la
pathologie et non pas un lien de causalité.
Mais, cette étude a eu le mérite de dévoiler
l’étude (essai randomisé) en cours qui était menée par le laboratoire :
une étude plus puissante mais qui nécessite une durée de quelques années. Selon
le film, l’arrogance des représentants du laboratoire conduit ce dernier à
révéler un résultat intermédiaire qui fait basculer l’affaire en faveur de
l’équipe de Brest.
Place des opinions minoritaires
Cette question se pose à propos du « risque
de développement » d’un produit comme le médicament.
Il y a lieu de rappeler que le fabricant peut
s’exonérer de sa responsabilité s’il démontre « que l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment
où il a mis le produit en circulation, n’a pas permis de déceler l’existence du
défaut » (article 1386-11, 4° (devenu article 1245-10, 4°) du code
civil). C’est le fruit de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985.
Je ne peux qu’attirer l’attention sur un principe
dégagé lors d’une affaire introduite devant la Cour de Luxembourg ; une
affaire datant du 29 mai 1997 (Commission des Communautés européennes
c/Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord ; aff. C-300/95). Ce
principe est soulevé par l’avocat général dans l’affaire du MÉDIATOR® (Cass.
civ. 1re, 20 sept. 2017) :
« Dès
lors qu’il existe dans la communauté scientifique de l’époque même seulement
une voix isolée (qui, comme l’histoire de la science l’enseigne,
pourrait devenir avec le temps l’opinion commune), soulignant le défaut et/ou
le danger potentiel du produit, son fabricant ne se trouve plus face
à un risque imprévisible, en tant que tel étranger au champ d’application
du régime imposé par la directive ».
Dans une telle situation, en la présence d’une
seule voix isolée, le fabricant est invité à mener des recherches en vue de
confirmer ou d’infirmer ce risque.
À l’heure où on parle d’une affaire déjà révélée
(celle du MÉDIATOR®), ce principe ne pourrait-il pas s’appliquer, dès à présent,
au doute formulé par une voix isolée de la communauté scientifique sur
l’innocuité de l’aluminium dans les
vaccins ? D’autant plus que plusieurs autorités de santé invitent à
poursuivre les recherches initiées par cette voix isolée…
En 2017, une relative protection pour un lanceur d’alerte
To blow a
whistle : donner un
coup de sifflet. Le whistleblower (concept
dans les pays anglo-saxons) alerte sur des pratiques déjà existantes. Le
« lanceur d’alerte », lui, prévient la population sur la survenue
d’un risque futur. Un « sombre
précurseur » selon les inventeurs de ce terme : les sociologues
Francis Chateauraynaud et Didier Torny dans les années 1995. (Deux termes qui
me sont, à titre personnel, incompréhensibles dans la mesure où le médecin et
le pharmacien ne font que leur travail dont l’alerte constitue un élément
constitutif)
Ce lanceur d’alerte peut être perçu comme un héros
ou comme un déviant ; voire un délinquant (cf. Socrate) s’il ose s’écarter
de la norme juridique. Il porte à la connaissance du public des informations
acquises dans le cadre de sa profession et de ses fonctions. La société ne
reste pas indifférente à ce lanceur d’alerte. Le droit pénal est justement le
support sur lequel repose la protection des valeurs sociales protégées. Or,
lancer une alerte reviendrait à emprunter une logique d’insubordination qui
pourrait affaiblir le système mis en place par ladite société.
Depuis quelques années, la France s’intéresse à la
protection du lanceur d’alerte. Ce dernier fait l’objet de plusieurs
définitions dont celles de Transparency International, du Conseil de l’Europe
(30/4/2014), du Conseil d’État (13/4/2016), du Code pénal…
Le 9 décembre 2016, en France, deux lois sont
repérées : la loi n°2016-1691 relative à la transparence, à la lutte contre la
corruption et à la modernisation de la vie économique ; et la loi
n°2016-1690 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation
et la protection des lanceurs d’alerte. Elles viennent compléter notamment la
loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations
des fonctionnaires.
Le droit pénal renfermait déjà quelques mécanismes
de dénonciation et révélation via des textes généraux et spéciaux. Désormais,
il vient encadrer l’alerte en la structurant par une procédure et des garanties
tout en laissant subsister quelques incertitudes.
Un délit d’obstacle à la transmission d’un
signalement est créé.
La révélation est justifiée par l’atteinte portée
à une justice matérielle. Elle devient, si les conditions sont respectées, une
cause d’irresponsabilité pénale. À défaut, le lanceur d’alerte s’expose à de
lourdes sanctions. La procédure pourrait être non suivie en cas de danger grave
et imminent ou s’il existe un risque de dommage irréversible.
En quelque sorte, sanctionner un lanceur d’alerte
reviendrait à une violation du droit d’expression au sens de l’article 10-1 de
la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales. La chambre sociale de la Cour de cassation a déjà prononcé la
nullité d’un licenciement ou toute autre mesure de rétorsion portant atteinte à
une liberté fondamentale du salarié.
L’alerte respecte aussi la présomption d’innocence
et les droits fondamentaux des personnes visées par l’alerte.
L’alerte s’inscrit dans le prolongement de la
liberté d’expression, de conscience… Elle questionne toute la société et pas
seulement son émetteur.
L’amende civile est aussi majorée si une plainte,
pour diffamation contre le lanceur d’alerte, s’avérerait abusive ou dilatoire.
Peut-être un perdant parmi les membres de l’équipe de Brest : Le professeur Antoine Le BIHAN,
collègue du docteur Irène FRACHON
Selon le film, le docteur Irène FRACHON s’est
appuyé sur la compétence du Professeur Antoine LE BIHAN. La première est
pneumologue ; le second est spécialiste de la recherche clinique et de la
méthodologie des essais cliniques. Le docteur Irène FRACHON prendrait, parfois,
quelques libertés avec les règles auxquelles le professeur LE BIHAN semble
attaché.
Alerté par l’un de ses collègues, dès le début de
l’alerte déclenchée par le docteur Irène FRACHON, le professeur Antoine LE BIHAN
voit l’unité d’investigation clinique, qu’il dirige, privée des financements et
de la labellisation par l’INSERM (institut national de la santé et de la
recherche médicale). Il n’aura d’autre choix que de s’exiler, avec sa famille,
au Canada.
Les manœuvres des laboratoires se nichent souvent,
avec subtilité, dans les essais cliniques. Et non pas dans les excipients comme
certains auraient tenté de faire croire dans le cadre de l’« affaire
LÉVOTHYROX® »… Il n’est donc pas surprenant de voir l’attaque se diriger
essentiellement vers le professeur Antoine LE BIHAN.
Benfluorex (MÉDIATOR®) : efficacité en terme de morbi-mortalité
non démontrée
Ce produit était indiqué comme adjuvant du régime
adapté dans les hypertriglycéridémies avec une poursuite du régime jugée
indispensable ; comme adjuvant du régime dans le diabète asymptomatique
avec surcharge pondérale ; et avec une efficacité pour la prévention
primaire ou secondaire dans les complications de l’athérosclérose non prouvée. Il sera aussi utilisé en dehors du cadre fixé par l'AMM par des patients souhaitant perdre du poids.
« Les
lipides brûlent au feu des glucides » disait une documentation du laboratoire…
Différents moyens sont disponibles pour induire en
erreur les professionnels de santé qui auraient oublié les fondamentaux.
Benfluorex (MÉDIATOR®) : ce n’est qu’un exemple révélateur
Cette affaire se distinguerait par sa triste et
regrettable banalité. Il y a eu des affaires avant celle du MÉDIATOR® et nous
ne sommes pas à l’abri de nouvelles affaires…
Le circuit du médicament devrait être appréhendé dans
sa globalité. Cette affaire du MÉDIATOR® montre un besoin urgent d’émancipation
des professionnels de santé et en particulier dans les domaines suivants :
fonds publics pour la recherche clinique ; formation initiale et continue ; sécurisation urgente du circuit du médicament...
Au déni de la firme s’est ajoutée l’inertie de l’Administration
du médicament censée pourtant veiller à la protection du public. Le système de santé
brille par ses extraordinaires intérêts contradictoires.
Des questions en suspens : non abordées par le film
Le film montre la contribution d’une étudiante en
dernière année de pharmacie. Mais, il n’interroge pas le rôle du pharmacien
dans cette affaire. Un rôle qu’il conviendrait de confronter notamment à la
liberté de prescription du médecin et à l’inertie des autorités sanitaires.
Il n’interroge pas non plus le rôle du patient
dans sa prise en charge.
Le CHU de Brest aurait-il référencé le MÉDIATOR®
dans son livret du médicament ? Ce livret est un document qui liste les
médicaments dont l’utilisation est recommandée au sein de l’établissement. L’histoire
racontée aurait dû s’intéresser à la commission qui joue le rôle de filtre dans
les établissements de santé publics et privés : une commission, composée
notamment de pharmaciens, de médecins de différentes spécialités, et du
directeur. Une commission qui décide de l’entrée de tel ou tel médicament dans
ce livret thérapeutique. Ce rôle de tri était initialement attribué à la
commission du médicament. Il est désormais transféré à la commission médicale
d’établissement.
Le MÉDIATOR® aurait été référencé et introduit à
l’intérieur de combien d’établissements de santé en France ?
Les cas d’effets indésirables observés par le docteur
Irène FRACHON ont-ils été signalés au centre régional de pharmacovigilance de
Brest ? Comme cela est exigé par la règlementation. Peut-on publier ces
cas dans une revue scientifique sans cette déclaration préalable ?
Une affaire franco-française ?
Quel est le sort qui a été réservé à d’autres
populations qui ont également été traitées par ce médicament ? Qui a
compté leurs morts ? Qui a pensé à leur indemnisation ?
France : quelques nouvelles du côté de la justice
En matière civile, la première décision au fond
date du 20 septembre 2017. Le laboratoire est condamné à indemniser une victime
(Cass. civ. 1re, 20 sept. 2017, n°16-19.643).
En matière pénale, le 30 août 2017, deux juges
d’instructions du pôle santé publique du tribunal de grande instance de Paris
ont ordonné, en adéquation avec les réquisitions du Ministère public, le renvoi
devant le tribunal correctionnel de 14 personnes physiques et de 11 personnes
morales dont le fabricant pour « tromperie aggravée » et l’ANSM
(ex-AFSSAPS) pour homicide et blessures involontaires.
Enfin, en matière administrative, le Conseil
d’État (CE) a retenu la responsabilité de l’État en raison de la « carence
fautive » de l’AFSSAPS à suspendre l’AMM dès le 7 juillet 1999, date de la
séance de la commission nationale de pharmacovigilance ayant relevé l’inversion
du rapport bénéfices/risques. Toutefois, l’État bénéficie d’une exonération
partielle de responsabilité à hauteur de 70% en raison de la faute du
laboratoire qui « a roulé tout le monde dans la farine » selon
l’IGAS.
Enfin, presque tout le monde…
Une vigilance de tous : y compris celle du patient, le principal
concerné
Dans la mesure du possible, tout patient est
invité à être curieux et actif de son traitement. Ce qui n’enlève rien à la
confiance qui doit se nouer entre lui et les professionnels de santé.
Fin de l’intervention.
Pour en savoir plus :
Un livre sur les discriminations et le parcours du combattant auxquels
se heurte tout lanceur d’alerte
-
Le Spectre de l’Isotèle. Éditions Les 2 Encres, mai 2013
Trois livres sur le médicament
-
Médicament : recadrage. Sans ton pharmacien,
t’es mort ! Éditions
Les 2 Encres, septembre 2013
-
Ce que devient le médicament dans le corps humain.
Conséquences en matière de soins. Collection « Connaître le médicament », Tome 1. Éditions BoD,
juin 2016
-
20 000 ; Plaise au Président de la
République Française. Collection
« Connaître le médicament », Tome 2. Éditions BoD, septembre 2017
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