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vendredi 13 décembre 2019

Arrêté du 12 novembre 2019 : pourquoi exposer les patients à certains médicaments « génériques » potentiellement plus nocifs que le médicament « de référence » ?

Un arrêté en date du 12 novembre 2019 est publié le 19 novembre 2019 au journal officiel de la République française (JORF). Il entre en vigueur à compter du 1er janvier 2020.
Il s’agit d’un arrêté « précisant, en application de l’article L.5125-23 du code de la santé publique, les situations médicales dans lesquelles peut être exclue la substitution à la spécialité prescrite d’une spécialité du même groupe générique ». En clair, ce texte réglementaire vient indiquer notamment les trois situations où le médecin peut s’opposer à la substitution d’un médicament qu’il prescrit par un autre médicament du même groupe générique en mentionnant sur l’ordonnance : « non substituable ».
La première situation médicale concerne les médicaments « à marge thérapeutique étroite », mais uniquement lorsque les patients sont stabilisés (la phase d’adaptation du traitement n’est pas concernée). Une liste de treize médicaments (principes actifs) est donnée : lamotrigine, pregabaline, zonisomide, lévétiracétam, topiramate, valproate de sodium, lévothyroxine, mycophénolate mofétil, buprénorphine, azathioprine, ciclosporine, évérolimus, mycophénolate sodique.
La deuxième situation concerne la prescription « chez l’enfant de moins de six ans, lorsqu’aucun médicament générique n’a une forme galénique adaptée » alors que le médicament de référence disponible permet cette administration.
La troisième situation est ainsi libellée : « Prescription pour un patient présentant une contre-indication formelle et démontrée à un excipient à effet notoire présent dans tous les médicaments génériques disponibles, lorsque le médicament de référence correspondant ne comporte pas cet excipient ».
Rappelons qu’un excipient « à effet notoire » est un excipient connu comme étant susceptible de générer des effets indésirables chez le patient.
Pour ces trois situations, le médecin doit reporter sur l’ordonnance des mentions précises : « non substituable (MTE) » (première situation) ; « non substituable (EFG) » (deuxième situation) ; « non substituable (CIF) » (troisième situation).

Trois situations qui appellent trois questions

Les trois situations médicales, ci-dessus exposées par cet arrêté, soulèvent les trois questions suivantes.

Première question

La liste des médicaments à marge thérapeutique étroite est-elle exhaustive ? N’aurait-on pas oublié d’autres principes actifs ?

Deuxième question

Chez les patients de plus de six ans, devrait-on privilégier un médicament générique même s’il ne dispose pas de forme galénique adaptée, et alors même que le médicament de référence, lui, permet cette administration adaptée ?

Troisième question

Cet arrêté livre les critères qui devraient opérer le choix entre :
-   des médicaments génériques qui contiennent un excipient à effet notoire (excipient susceptible de provoquer des effets indésirables chez les patients) ;
-   et le médicament de référence qui ne contient pas cet excipient potentiellement nocif.
Autrement dit, le choix est entre deux produits qui n’ont pas le même rapport bénéfice/risque : le médicament qui contient un excipient à effet notoire a nécessairement un « risque » plus élevé. En principe, cette simple constatation devrait conduire à proposer aux patients le produit qui ne contient pas cet excipient à risque.
Mais, cet arrêté, lui, adopte un autre raisonnement : il semble privilégier au contraire le médicament qui contient l’excipient à risque. Selon cet arrêté, les professionnels de santé (médecins et pharmaciens notamment) ne peuvent écarter ce produit à risque qu’à la double condition suivante (souvent difficile à établir en pratique) :
1.  L’existence d’une contre-indication formelle ;
2.  Une contre-indication formelle démontrée.
Cet arrêté semble donc privilégier le médicament qui expose le patient à un risque évitable (évitable car il existe une alternative sans risque connu).
Selon cet arrêté, tant que le patient n’a pas développé des effets indésirables conduisant à une contre-indication formelle et démontrée, il devrait accepter de prendre le médicament à risque. Par ailleurs, cet arrêté ne dit pas comment prouver le caractère « formel et démontré » de ladite « contre-indication » à cet excipient à effet notoire.

Des professionnels de santé face aux patients

Une obligation d’information des patients pèsent sur les professionnels de santé (médecins et pharmaciens notamment). Pourrait-on envisager la situation où ces professionnels expliqueraient à un patient les deux choses suivantes (pour respecter ce que préconise cet arrêté).

Face à des patients âgés de plus de 6 ans : enfants (et leurs parents) et les autres patients

« Vous avez plus de 6 ans. Selon un arrêté, vous devez accepter une forme galénique inadaptée parce que c’est un générique ; je ne peux pas vous proposer la forme qui vous convient parce que c’est un médicament de référence. »

Face à un patient qui ignore comment serait sa réaction une fois l’excipient à effet notoire (à risque) administré

« Pour traiter votre maladie, il existe sur le marché un médicament (A) qui ne contient pas d’excipient à risque et un autre médicament (B) avec un excipient potentiellement nocif ; selon un arrêté, vous ne semblez pas avoir de contre-indication « formelle et démontrée » à la prise de cet excipient à risque du médicament B ; vous devez donc commencer par prendre ce médicament B et on voit après ; et si vous développez un effet indésirable (et que vous êtes encore vivant), nous pourrons à ce moment réévaluer la prescription mais à la double condition : il faut que cet effet indésirable soit formel et démontré comme étant la conséquence de cet excipient. »

Conclusion

Ces trois questions, ci-dessus soulevées, donnent le sentiment que les médicaments génériques devraient être privilégiés à tout prix.
Or, la règle est la suivante : une prescription médicamenteuse doit privilégier le médicament qui assure au patient une meilleure sécurité, et indépendamment du caractère « générique » ou « de référence ». Le critère de prix n’intervient que lorsque les deux médicaments en concurrence offrent le même rapport bénéfice/risque.
D’ailleurs, devrait-on continuer de qualifier de « génériques » des médicaments qui introduisent, dans leur composition, un excipient à effet notoire (alors que cet excipient ne figure pas parmi les ingrédients du médicament de référence) ? Pourquoi avoir autorisé la commercialisation de ces produits qui sont potentiellement plus nocifs alors qu’un autre médicament offre une meilleure sécurité pour le patient ?
Cet arrêté présente des cas où des médicaments génériques sont de moindre qualité que le médicament de référence. Et dans le même temps, il appelle à privilégier ces médicaments qui exposent les patients à un risque évitable. Il nous semble que cette méthode ne peut que susciter la défiance des patients envers les médicaments génériques tout en semant le trouble dans la relation patient-soignant, ce qui est, pour le moins, regrettable.
Ce n’est, malheureusement, pas le premier arrêté qui pourrait être qualifié d’« arrêté iatrogène ».







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