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jeudi 20 décembre 2018

Éviter les toxicités sévères et mortelles sous l’anticancéreux 5-FU. Les « nouvelles » recommandations des autorités : une avancée ou un recul pour la sécurité des patients du centre hospitalier de Cholet ? Une question de coût et/ou de liens et conflits d’intérêts ?


Le 18 décembre 2018, l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament) « invite » les professionnels de santé « à appliquer » les « nouvelles » recommandations émises par l’Institut national du cancer (INCa) et la Haute autorité de santé (HAS). Ces recommandations, datées du 18 décembre 2018, sont ainsi libellées : « Recherche de déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase [DPD] en vue de prévenir certaines toxicités sévères survenant sous traitement comportant des fluoropyrimidines [5-fluorouracile (5-FU) et capécitabine (prodrogue du 5-FU)]. »

Sur ce sujet, l’INCa a été saisi par la Direction générale de la santé (DGS). La HAS, elle, a décidé de s’autosaisir de cette question.

Ces « nouvelles » recommandations appellent les observations et la réflexion suivantes.

Au centre hospitalier de Cholet, ces recommandations ont été diffusées le 19 décembre 2018. Mais, pour notre hôpital public (de Cholet), une question se pose.

Ces « nouvelles » recommandations sont-elles une avancée ou un recul en matière de sécurité des patients concernés par ces traitements ?

En effet, au sein de notre établissement public de santé, les professionnels de santé concernés par ce sujet n’ont pas attendu ces recommandations, certes « nouvelles » pour certaines régions de France, pour rechercher ce déficit enzymatique à l’origine de toxicités sévères et de décès.

Depuis de nombreuses années, dans notre établissement et selon les informations recueillies, ce dépistage est effectué par la méthode, dite multiparamétrique, de détection des déficits en DPD et d’aide à l’adaptation posologique des fluoropyrimidines : une technique qui associe phénotypage et génotypage ; elle utilise un algorithme combinant les résultats obtenus avec certaines caractéristiques cliniques du patient et le type de traitement envisagé. Le but étant de proposer une dose adaptée à chaque patient pour la première cure de traitement. Cette méthode a été mise au point et brevetée par l’équipe de l’Institut de Cancérologie de l’Ouest (ICO) du site Paul Papin basé à Angers (Gamelin et al. 1999 ; Boisdron-Celle et al. 2007).

Or, cette méthode n’est pas celle retenue dans ces « nouvelles » recommandations. Elle n’est donc pas inscrite au remboursement.

En lieu et place de cette méthode utilisée de longue date dans notre Territoire, ces « nouvelles » recommandations préconisent désormais la mesure de la seule « uracilémie ». La HAS semble avoir donné un avis en faveur de l’inscription au remboursement de cet examen. Ce dernier est l’une des deux techniques possibles du phénotypage. Dans le même temps, ces recommandations précisent que « les performances prédictives de cette méthode de phénotypage n’apparaissent cependant pas non plus bien connues et sont vraisemblablement faibles » d’une part ; et qu’il n’existe pas de « valeur seuil établie de façon consensuelle » d’autre part. Par ailleurs, les conditions « pré-analytiques » strictes méritent d’être connues et strictement respectées ; car la fiabilité des résultats en dépend.

L’autre technique du phénotypage, basée sur le calcul du ratio dihydrouracile/uracile (UH2/U), est écartée.

Le génotypage, lui aussi, est exclu de ces « nouvelles » recommandations. Et alors même que dans le paragraphe relatif aux « aspects réglementaires », ces mêmes recommandations relèvent la position européenne sur ce point :

« Au niveau européen, en juillet 2017, en réponse à un avis demandé par le Committee for medicinal products for human use (CHMP) de la European medicines agency (EMA), le Pharmacovigilance risk assessment committee (PRAC) s’est prononcé en faveur d’une modification des RCP de la capécitabine et des spécialités de 5-FU en vue d’y intégrer des informations relatives à la problématique des déficits en DPD et, plus particulièrement à la possibilité de les détecter par génotypage. (…) »

Ces mêmes recommandations poursuivent :

« Faisant suite aux préconisations du PRAC, le RCP européen de la capécitabine (Xeloda®) a été actualisé en avril 2018 (…) La version actualisée fait maintenant état d’un lien entre la présence des variants (…) et un risque augmenté de toxicité sévère sous capécitabine. La recherche de ces variants par génotypage est donc recommandée avant traitement (…). »

Il y a lieu de noter que les « RCP des spécialités génériques de 5-FU (…) ont également été modifiés (…) Néanmoins, elles sont moins précises que celles figurant dans la nouvelle version du RCP de la capécitabine ».

Ces « nouvelles » recommandations viennent donc contredire ce RCP européen actualisé en avril 2018.

Elles contredisent également les « trois recommandations professionnelles de bonne pratique (RBP) » qui, toutes, sont en faveur du « génotypage ». Ces RBP ont été élaborées, en 2017 et 2018, par trois sociétés savantes/consortiums spécialisés en pharmacologie : la Royal dutch pharmacists association (KNMP) aux Pays-Bas ; le Clinical pharmacogenetics implementation consortium (CPIC) essentiellement en Amérique du Nord ; le consortium GPCO-Unicancer – RNPGx, en France.

Ces « nouvelles » recommandations écartent ce génotypage tout en nous précisant notamment ceci :

« Dans un contexte où il n’existe pas de consensus préalable fort quant à l’existence d’une méthode fiable de recherche » de ces déficits en DPD.

Elles indiquent aussi que, parfois, le « recours au génotypage seul ne permet pas de savoir si ces variants sont portés sur le même allèle ou non et une approche complémentaire par phénotypage de la DPD apparaît donc nécessaire ». Une telle complémentarité « phénotypage/génotypage » n’est pas sans rappeler l’approche utilisée par l’équipe Angevine (ci-dessus mentionnée).

Il est surprenant de ne voir recommandé que le seul phénotypage tout en lisant dans ces recommandations que « indépendamment de l’approche utilisée, toutes les toxicités sévères, parfois létales, ne peuvent être évitées via un examen systématique de l’activité fonctionnelle de l’enzyme DPD (…) ». D’autant plus que ces recommandations sont venues confirmer le fait que l’« antidote » (Vistogard® : triacétate d’uridine) « ne peut constituer une alternative pour gérer » toutes les toxicités graves : son intérêt reste très limité ; aucun stock n’existe en France ou en Europe…

Ces « nouvelles » recommandations relèvent le risque de « perte de chance » que pourrait générer un diagnostic « faussement positif ». Mais, elles ignorent le même risque inhérent à un éventuel diagnostic « faussement négatif ».

Ces « nouvelles » recommandations éclipsent au moins deux questions qui seraient inavouables. La première est celle du prix. Ces recommandations ne proposent aucune étude de coût et notamment de coût-efficacité. À l’inverse, une étude est notamment mise à disposition par l’équipe Angevine. Il y a lieu de ne pas confondre le « mieux » disant avec le « moins » disant.

Et puis, nous découvrons cette nouvelle expression inscrite dans une note en bas de la page 9 : « Les experts ont tous renseigné une déclaration d’intérêts dont l’analyse par l’INCa n’a pas mis en évidence de risque de conflit d’intérêt majeur en lien avec l’objet de l’expertise. » Les mots ont un sens. Et, en l’espèce, le mot « majeur » pourrait prendre ici sa pleine dimension en révélant la deuxième interrogation inavouable.

Ces « nouvelles » recommandations prévoient déjà le fait qu’elles soient « susceptibles d’évoluer ».

Dans la conclusion, ces recommandations indiquent : « Les experts consultés ont exprimé un consensus sur le fait qu’une approche phénotypique est susceptible en théorie d’identifier les patients présentant un déficit complet en DPD. » ; « quelle que soit la méthode employée pour cette recherche, aucune ne pourra permettre d’éviter toutes les toxicités sévères ni létales » ; « aucune méthode n’est vraisemblablement en mesure d’identifier tous les patients déficitaires en DPD, partiels ou complets, de façon fiable sur le plan de la sensibilité et de la valeur prédictive positive »

Par ces motifs, non exhaustifs, et en pratique dans notre établissement

Ces « nouvelles » recommandations sont-elles donc une avancée ou un recul en matière de sécurité des patients concernés par ces traitements ?

Dans un article publié, le 20 février 2018, par PARIS MATCH, le mari d’une patiente décédée témoigne :

« (…) « Si ma femme avait été soignée à Angers, elle serait aujourd’hui à côté de moi. Mais elle a été soignée à (…), et elle est décédée en moins de quinze jours », explique (…) [le mari], dont l’épouse, atteinte d’un cancer récidivant en septembre 2016, a succombé, après huit jours de coma, à sa cure de chimiothérapie. (…) »

Si « aucune méthode n’est vraisemblablement en mesure d’identifier tous les patients déficitaires en DPD, partiels ou complets, de façon fiable sur le plan de la sensibilité et de la valeur prédictive positive », réduire cette recherche à la seule mesure de l’uracilémie pourrait constituer une avancée pour les établissements, et les régions, en retard dans ce domaine (en matière de dépistage).

Mais, pour les hôpitaux, tel que celui de Cholet habitué au test Angevin, ces « nouvelles » recommandations ne pourraient-elles pas s’apparenter à une stagnation du niveau de qualité du test requis ; et au pire à un nivellement par le bas de la qualité du dépistage demandé ? Car, rappelons-le, depuis de nombreuses années, dans notre établissement, ce dépistage est effectué par la méthode, dite multiparamétrique, qui associe le phénotypage au génotypage

Par conséquent, il appartient aux professionnels de santé concernés ainsi qu’à l’établissement de décider eu égard à ces éléments et aux responsabilités encourues en pareilles circonstances.

L’avis des patients nous semble important. Une association de patients pense qu’il s’agit d’un recul en matière de sécurité.

Enfin, n’oublions pas de signaler tout effet indésirable, notamment grave tel qu’un décès, à la pharmacovigilance.



À lire aussi : nos 6 articles précédents sur ce sujet ont été publiés le : 28 février 2018 ; 22 février 2018 ; 15 février 2018 ; 11 février 2018 ; 19 janvier 2018 ; 21 septembre 2017. Ils sont accessibles à travers le lien suivant : cliquer ici








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