À l’heure où Madame
la ministre de la santé réfléchit à rendre certains vaccins obligatoires dont
celui contre l’hépatite B, la cour de justice de l’union européenne (CJUE)
vient livrer un arrêt en date du 21 juin 2017 (N.W e.a. c/ Sanofi Pasteur
e.a. ; affaire C-621-15). Désormais, l’absence
de certitude scientifique n’est plus un obstacle pour établir un défaut(1) du vaccin et le lien de
causalité entre l’administration de ce vaccin et la survenue d’un effet
indésirable. Désormais, une simple présomption pourrait suffir.
Faits
Dans cette affaire,
Monsieur W. se voit administrer un vaccin contre l’hépatite B, produit par
Sanofi Pasteur, en trois injections successives : 26 décembre 1998, 29
janvier 1999 et 8 juillet 1999.
En août 1999,
Monsieur W. commence à présenter divers troubles.
En novembre 2000,
le diagnostic de sclérose en plaques est établi.
Le 1er
mars 2005, des experts judiciaires concluent : depuis le 20 janvier 2001,
cette sclérose en plaques ne permettait plus à Monsieur W. d’exercer une
activité professionnelle. Puis, l’état de Monsieur W. s’aggrave progressivement
jusqu’à atteindre un déficit fonctionnel de 90% nécessitant la présence
constante d’une tierce personne.
Monsieur W. décède
le 30 octobre 2011.
Une longue procédure interne : devant
la justice française
Introduction de la demande
Dès 2006, la
justice est saisie notamment par Monsieur W. et trois membres de sa famille.
Les requérants (plaignants) souhaitent voire Sanofi Pasteur condamné à
indemniser les préjudices imputés à ce vaccin contre l’hépatite B. Ils fondent
leur demande sur deux éléments : d’une part la concomitance entre la
vaccination et l’apparition de la sclérose en plaques ; et d’autre part,
l’absence d’antécédents personnels et familiaux relatifs à cette maladie. Ces
deux éléments font naître, selon eux, des présomptions graves, précises et concordantes
qui permettent d’établir l’existence : 1°) d’un défaut du vaccin ;
2°) d’un lien de causalité entre l’injection du vaccin et l’apparition de la
sclérose en plaques.
En France,
l’appréciation de ces présomptions relève du pouvoir souverain du juge du fond.
Premières décisions des juges du fond
Le 4 septembre
2009, le tribunal de grande instance de Nanterre accueille la demande des
plaignants.
Le 10 février 2011,
ce jugement est infirmé (annulé) par la cour d’appel de Versailles qui
reconnaît l’existence d’un lien de causalité entre l’injection du vaccin et la
survenue de la maladie mais, elle rejette l’existence d’un défaut du vaccin.
Premier pourvoi en cassation
La cour de
cassation est saisie d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt de la cour d’appel de
Versailles.
Le 26 septembre
2012, la haute juridiction annule cet arrêt car elle reproche à la cour d’appel
de ne pas avoir examiné « si les
circonstances particulières qu’elle avait ainsi retenues » pour
établir le lien de causalité « ne
constituaient pas également des présomptions graves, précises et concordantes
de nature à établir » aussi « le
caractère défectueux de ce vaccin ». Elle renvoie alors l’affaire à
une autre cour d’appel (de Paris).
Seconde décision du juge du fond : position
de la cour d’appel de Paris
Le 7 mars 2014, la
cour d’appel de Paris annule le jugement rendu par le tribunal de grande
instance de Nanterre et rejette la demande de Monsieur W. Cette cour d’appel
relève plusieurs points. Selon cette cour :
- Il n’existait pas
de consensus scientifique en faveur de l’existence d’un lien de causalité entre
la vaccination contre l’hépatite B et la survenance de la sclérose en plaques.
Et l’ensemble des autorités sanitaires nationales et internationales ont écarté
l’association entre un risque d’atteinte démyélinisante centrale ou
périphérique (caractéristique de la sclérose en plaques) et une telle
vaccination ;
- Il ressort de
multiples études médicales que l’étiologie de la sclérose en plaques est
actuellement inconnue ;
- Une récente
publication médicale aurait conclu que, lors de l’apparition des premiers
symptômes de la sclérose en plaques, le processus physiopathologique a
probablement commencé plusieurs mois, voire plusieurs années, auparavant ;
- Enfin, des études
épidémiologiques indiquaient que 92 à 95% des personnes atteintes de cette
maladie n’ont aucun antécédent de ce type dans leurs familles.
Cette cour d’appel
conclut donc que les « critères de
la proximité temporelle entre la vaccination et les premiers symptômes et de
l’absence d’antécédents personnels et familiaux invoqués par Monsieur W. e.a.
ne pouvaient constituer, ensemble ou séparément, des présomptions graves,
précises et concordantes permettant de conclure à l’existence d’un lien de
causalité entre la vaccination et la maladie concernées ».
La cour de
cassation est alors, à nouveau, saisie d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt rendu
par cette seconde cour d’appel (de Paris).
Second pourvoi en cassation
Saisie de ce
nouveau pourvoi, la cour de cassation
doute et décide, cette fois, de surseoir à statuer (attendre avant de
juger) et de poser d’abord des questions de droit à la CJUE (questions
préjudicielles).
Procédure européenne : devant la CJUE
Le 12 novembre
2015, la cour de cassation saisit la CJUE de ces questions de droit.
Elle interroge la CJUE pour savoir si notamment
le juge peut se baser sur des indices graves, précis et concordants pour établir
le défaut d’un vaccin et le lien de causalité entre ce vaccin et la
maladie ? Et cela malgré l’absence d’un consensus scientifique et compte
tenu du fait qu’il appartient à la victime de prouver le dommage, le défaut et
le lien de causalité.
Réponse de la CJUE : arrêt du 21 juin
2017
Le 21 juin 2017, la
CJUE rend son arrêt sur le fondement de la directive 85/374/CEE du Conseil (du
25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits
défectueux.)
De cette réponse, il
ressort que lorsque la science
hésite, certains éléments de fait invoqués par le plaignant constituent des
« indices
graves, précis et concordants ».
Ces derniers
permettent de conclure à l’existence
d’un défaut du vaccin et à
celle d’un lien de causalité entre
ce défaut et ladite maladie.
Dans cette affaire,
ces indices, souverainement
appréciés par le juge du fond, sont a
priori au nombre de trois :
1. Une proximité
temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie.
C’est l’imputabilité chronologique utilisée en pharmacovigilance ;
2. L’absence
d’antécédents médicaux personnels et familiaux, en relation avec cette
maladie ;
3. L’existence d’un
nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la
suite de telles administrations. Autrement dit, il s’agit du critère bibliographique
retenu en pharmacovigilance.
Si ces trois
indices sont réunis, une juridiction nationale (française en l’espèce) pourrait
considérer que la victime a versé la preuve requise (elle a satisfait à la charge de la preuve qui pèse sur
elle en vertu de l’article 4 de ladite directive).
C’est, par exemple,
le cas où ces indices conduisent le juge à considérer que, d’une part
l’administration du vaccin constitue l’explication
la plus plausible de la survenance de la maladie et, d’autre part ce vaccin n’offre dès lors pas, au sens
de l’article 6 de cette directive, la
sécurité légitimement attendue.
Finalement, la « preuve
certaine issue de la recherche médicale » n’est plus le seul mode
de preuve recevable. Car, elle aurait notamment pour effet de rendre, dans
un nombre important de situations, excessivement difficile ou impossible la
mise en cause de la responsabilité du producteur du vaccin. Et par conséquent,
elle compromettrait, selon la CJUE, l’effet utile de la directive, la juste
répartition des risques entre la victime et le laboratoire, ainsi que la
protection de la sécurité et de la santé des consommateurs.
Questions en suspens
Un produit réputé
« défectueux », selon les juges, devrait-il continuer à être
commercialisé au motif que le risque pour la santé n’est pas prouvé
scientifiquement ?
Rendre ce vaccin
obligatoire ne pourrait-il pas faire basculer la responsabilité du laboratoire
pharmaceutique vers celle de l’État (solidarité nationale) ?
Il reste à attendre
d’une part la décision de Madame la ministre de la santé, et d’autre part la
place que les juridictions françaises réserveront à cette décision de la CJUE.
(1)N.B. :
Définition de la notion de « défaut »
du vaccin, notamment, au sens de l’article 6 de ladite directive
La CJUE rappelle :
« Ainsi qu’il ressort de l’article 6, paragraphe
1, de ladite directive, est défectueux
un produit qui n’offre pas la sécurité
à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les
circonstances et, notamment, de la présentation de ce produit, de l’usage de
celui-ci qui peut être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en
circulation.
Conformément au sixième considérant de la même
directive, il convient d’effectuer cette
appréciation au regard des attentes
légitimes du grand public. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire