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mercredi 17 février 2021

Vaccins contre la Covid-19 : le pharmacien réduit à un simple distributeur automatique ?

 

« Rappelez-moi (…) le pharmacien c’est bien l’épicier qui n’a jamais réussi médecine ? PS : pardon à tous mes amis pharmaciens. »

Une députée, médecin psychiatre, le 6 février 2021


Cette affirmation, pour le moins surprenante, a été publiée, le 6 février 2021, sur le compte Twitter de Madame Martine WONNER qui est députée et médecin psychiatre. Une telle affirmation a déclenché des réactions d’« indignation ».

D’abord, il y a lieu de rappeler que, comme toute profession, le métier d’épicier mérite le respect.

Un tel qualificatif (« épicier »), appliqué au pharmacien, rappelle une décision rendue en 1993 par un juge. Ce dernier a retenu la responsabilité du pharmacien qui « s’est contenté de délivrer les remèdes en reproduisant sur les emballages la posologie figurant sur l’ordonnance, ce qui est à la portée de tout épicier sachant lire et écrire, mais tout-à-fait insuffisant de la part d’un spécialiste de la santé qui a tout aussi gravement que le prescripteur, manqué à son devoir de conseil et à l’obligation de moyen à laquelle auraient dû l’avoir préparé six années d’études spécialisées et quelques de pratique professionnelle ».

Mais, manifestement, le pharmacien semble toujours perçu comme « un épicier » - « de luxe » -. Cette députée, et médecin psychiatre, serait-elle la seule à percevoir ainsi le pharmacien ? Pour tenter de répondre à cette question, il y a lieu de s’intéresser, par exemple, à la place qui a été réservée au pharmacien dans le cadre de l’actuelle campagne de vaccination contre la Covid-19 (maladie liée au Sars-CoV-2).

Cette place est visible dans notamment un document publié sur le site du ministère des solidarités et de la santé. Ce document, daté de janvier 2021, est intitulé « PORTFOLIO « VACCINATION ANTI-COVID » à destination des pharmaciens ». Le pharmacien d’officine et le pharmacien hospitalier, notamment, ont donc été exclus du « PORTFOLIO » initial qui était destiné à tous les « professionnels de santé ».

Désormais, ce guide réservé aux pharmaciens est séparé de celui (daté de février 2021) destiné aux professionnels de santé : les « médecins et infirmiers ».

Dès le sommaire de ce guide destiné aux pharmaciens, ces derniers semblent enfermés dans un rôle essentiellement logistique. Les consignes expliquent aux pharmaciens comment se préparer « avant livraison » des vaccins, que faire « à l’arrivée du colis », etc. allant même jusqu’à demander aux pharmaciens de « vérifier la disponibilité d’un volume libre suffisant dans le frigidaire ».

À la page 45, dans la rubrique « 3. Textes législatifs et réglementaires », ce document destiné aux pharmaciens cite des articles du code de la santé publique qui concernent plutôt les médecins : R. 4127-34, R. 4127-35, R. 4127-36 et R. 4127-42. Ces dispositions traitent notamment de l’information des patients et des personnes ainsi que du recueil de leur consentement. Comme si les pharmaciens n’auraient pas leur propre code de déontologie…

Pourtant, les obligations qui pèsent sur les pharmaciens sont, elles aussi, consacrées par ce même code de la santé publique et par la jurisprudence (décisions des juges) judiciaire, administrative, disciplinaire. Ce guide, destiné aux pharmaciens, aurait pu rappeler certaines de ces obligations.

Dispensation d’un médicament (vaccin) : un rappel de quelques obligations qui pèsent sur le pharmacien

En effet, le métier premier du pharmacien est consacré par l’article R.4235-48 du code de la santé publique selon lequel « Le pharmacien doit assurer dans son intégralité l’acte de dispensation du médicament, associant à sa délivrance : 1° L’analyse pharmaceutique de l’ordonnance médicale si elle existe ; 2° La préparation éventuelle des doses à administrer ; 3° La mise à disposition des informations et les conseils nécessaires au bon usage du médicament. Il a un devoir particulier de conseil lorsqu’il est amené à délivrer un médicament qui ne requiert pas une prescription médicale. Il doit, par des conseils appropriés et dans le domaine de ses compétences, participer au soutien apporté au patient ».

Le pharmacien n’est pas un simple exécutant de l’ordonnance médicale. Il a son mot à dire. Suite à son analyse, il peut valider l’ordonnance. Mais, s’il constate une anomalie, il peut être amené à adresser un avis pharmaceutique au prescripteur. Il joue ainsi un rôle d’une première barrière de sécurité.

Dans les cas extrêmes, et « lorsque l’intérêt de la santé du patient lui paraît l’exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament » (R.4235-61 et R.1111-20-5).

Le code de la santé publique invite le pharmacien à dialoguer avec le prescripteur (L. 5125-23, R. 4235-31, R. 4235-33) tout en s’abstenant « de formuler un diagnostic sur la maladie au traitement de laquelle il est appelé à collaborer » (R. 4235-63, R. 4235-66).

Le pharmacien est tenu d’informer les professionnels de santé, dont le médecin prescripteur, et les patients.

L’arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments (dans les pharmacies d’officine, les pharmacies mutualistes et les pharmacies de secours minières) confirme le rôle du pharmacien. Ces bonnes pratiques reconnaissent le pharmacien comme un spécialiste du médicament capable de proposer des alternatives au prescripteur. Elles ajoutent que « le pharmacien peut, s’il le juge nécessaire, évaluer le choix d’une molécule (en fonction des recommandations pour la pratique clinique, du profil du patient, des effets indésirables liés à chaque molécule notamment) et propose, le cas échéant, un traitement mieux adapté au prescripteur qui peut établir une nouvelle ordonnance ou donner son accord au pharmacien pour qu’il délivre un autre médicament ».

L’accès à l’information sur les médicaments est un droit pour les patients. Cette information porte notamment sur le rapport bénéfice/risque des médicaments (dont les vaccins). De la qualité de cette information dépend la validité du consentement (une liberté fondamentale) qui est censé être libre et éclairé.

Le pharmacien « doit contribuer à l’information et à l’éducation du public en matière sanitaire et sociale » (R. 4235-2). Cette information « doit être véridique, loyale et formulée avec tact et mesure » (R. 4235-30). L’information est pérenne : elle s’impose même après l’administration ou l’arrêt du médicament. La responsabilité du pharmacien est engagée s’il omet de mettre en garde le patient.

Le pharmacien « exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine » (R. 4235-2) et « doit veiller à ne jamais favoriser, ni par ses conseils ni par ses actes, des pratiques contraires à la préservation de la santé publique » (R. 4235-10).

Le pharmacien « doit veiller à préserver la liberté de son jugement professionnel dans l’exercice de ses fonctions. Il ne peut aliéner son indépendance sous quelque forme que ce soit » (R. 4235-3). Il « ne doit se soumettre à aucune contrainte financière, commerciale, technique ou morale, de quelque nature que ce soit, qui serait susceptible de porter atteinte à son indépendance dans l’exercice de sa profession, notamment à l’occasion de la conclusion de contrats, conventions ou avenants à objet professionnel » (R. 4235-18).

Comme l’a déjà rappelé la présidente de l’ordre national des pharmaciens dans ses écritures de 2010, l’indépendance professionnelle constitue « une règle fondamentale des professions réglementées, un pilier essentiel de leur déontologie. Elle n’est pas garantie pour le confort et le bénéfice du professionnel, mais pour la protection du public ». Cette présidente a fait part de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui a reconnu dans son arrêt du 19 mai 2009 « l’importance de cette indépendance, qui doit être matérielle, économique et intellectuelle ». Elle a aussi insisté sur la réalité du décalage entre ce « principe » et sa mise en œuvre effective en reconnaissant que « si l’indépendance du professionnel de santé est largement admise dans son principe, dans la réalité, elle peut être menacée. En période de contraintes économiques, les choix des professionnels peuvent être plus facilement influencés, voire dictés, par la volonté d’acquérir des avantages concurrentiels, le captage d’informations à « fort enjeu commercial », par certains choix publics comme privés d’organisation et de gestion, ou par des pressions financières (venant d’investisseurs, de fournisseurs, de tiers…). À chacun, en toutes circonstances, de rester très attentif à décrypter les éventuels enjeux cachés de certains discours ou à se positionner avec responsabilité à l’encontre de choix non conformes aux intérêts des patients, qu’on pourrait lui proposer ou même être tenté de lui imposer… ». Cette indépendance professionnelle est également garantie par les dispositions de l’article L. 6143-7 du code de la santé publique selon lequel « le directeur » d’un établissement public de santé « exerce son autorité sur l’ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s’imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l’administration des soins et de l’indépendance professionnelle du praticien dans l’exercice de son art ».

Mais en l’espèce, dans le cas qui concerne la dispensation des vaccins contre la Covid-19, un pharmacien peut-il, réellement, exercer son métier conformément à ces obligations ci-dessus mentionnées sans s’exposer à des représailles ? Pour essayer de répondre à cette question, il y a lieu de soumettre le cas pratique (un exemple, non exhaustif) suivant relatif à la dispensation du vaccin COMIRNATY® (Tozinaméran) des laboratoires Pfizer/BioNTech.


CAS PRATIQUE. Dispensation du vaccin COMIRNATY® (Tozinaméran) des laboratoires Pfizer/BioNTech : l’indépendance professionnelle du pharmacien est-elle garantie ?

 

Prenons donc le cas d’un pharmacien (hospitalier ou de ville) qui souhaite exercer son rôle conformément aux règles professionnelles. Ce pharmacien s’interroge sur le rapport bénéfice/risque de ce premier vaccin qui a obtenu, le 21 décembre 2020, une autorisation de mise sur le marché (AMM) « conditionnelle » européenne ; et qui est commercialisé en France. Comme le médecin, le premier réflexe du pharmacien consiste à consulter l’information disponible dans notamment le « résumé des caractéristiques du produit » (RCP) ; ce RCP est annexé à ladite AMM. Ce RCP est censé être conforme aux données acquises de la science ; celles-ci constituent le fondement d’une prescription médicale. Le RCP est destiné plus particulièrement aux professionnels de santé ; alors que la « notice », elle aussi annexée à cette AMM, s’adresse à toute personne souhaitant s’informer sur le rapport bénéfice/risque de vaccin.


Dans ce RCP, au point « 4.1 », ce pharmacien découvre les « indications thérapeutiques » accordées au vaccin COMIRNATY® : « Comirnaty est indiqué pour l’immunisation active pour la prévention de la COVID-19 causée par le virus SARS-CoV-2, chez les personnes âgées de 16 ans et plus. L’utilisation de ce vaccin doit être conforme aux recommandations officielles. ». Donc, ce vaccin est destiné aux personnes âgées de 16 ans et plus.


Mais, comme ce RCP ne doit constituer, en aucun cas, la seule référence, le pharmacien fait d’autres recherches. Il s’intéresse d’abord aux avis et recommandations émis par la haute autorité de santé (HAS). Là, il découvre quelques écritures de cette HAS qui semblent contredire celles de l’AMM. La HAS soutient notamment ceci :


« L’efficacité vaccinale n’a pu être évaluée chez les sujets les plus jeunes (<18ans) » (alors que l’AMM est accordée à partir de 16 ans) ;


« En raison d’un manque de puissance, il n’est pas possible de conclure spécifiquement chez les patients de plus de 75 ans ». La HAS « recommande que des études complémentaires soient menées dans cette sous-population » (alors que l’AMM est accordée pour ces personnes âgées de plus de 75 ans ; et que la campagne vaccinale commence même chez cette population considérée comme prioritaire).


Comment est-ce donc possible d’autoriser l’administration de ce vaccin chez les moins de 18 ans et chez les plus de 75 ans eu égard à ces conclusions livrées par la HAS ?


Le pharmacien poursuit ses recherches. Il consulte l’avis rendu par la revue indépendante Prescrire. Celle-ci confirme : « Chez les personnes âgées entre 65 ans et 74 ans, l’efficacité a été calculée à environ 93%, mais avec une plus grande marge d’incertitude ((…) 53% à 100%) » ; « Plus l’âge est avancé, plus l’incertitude est grande. (…) Chez les personnes âgées de 75 ans ou plus (…) L’intervalle de confiance (…) [marge d’incertitude] de la réduction relative du risque est très large : -12,1% à 100%. Ce résultat montre que cet essai n’a pas été conçu pour évaluer l’efficacité du vaccin chez les personnes âgées de 75 ans ou plus ».


Ces références ne sont pas exhaustives, d’autres sont disponibles.


Alors, ce pharmacien peut-il, sans s’exposer à des représailles, refuser de dispenser ce vaccin lorsqu’il est notamment indiqué chez des personnes âgées de moins de 18 ans ou plus de 75 ans ? Quelles sont ses responsabilités (pénale, administrative, disciplinaire) s’il refuse cette dispensation ? Quelles sont ces mêmes responsabilités (pénale, administrative, disciplinaire) s’il dispense ce produit ?


Le pharmacien semble même « oublié » sur ce point concernant la responsabilité.


« Fiche 9 : mise au point responsabilité » établie par le ministère des solidarités et de la santé : une fiche complètement refaite et destinée uniquement aux « médecins et infirmiers »

 

Initialement, un seul « Guide de la vaccination pour les médecins, infirmiers et pharmaciens » avait été publié le 31 décembre 2020. À ce guide était joint un seul « PORTFOLIO » qui était destiné aux médecins, infirmiers et pharmaciens.


Dans ce « PORTFOLIO » initial, figurait une « Fiche 9 : mise au point responsabilité » qui rappelait clairement ceci : « (…) la réparation intégrale des accidents médicaux imputables à des activités de soins réalisés à l’occasion de la campagne vaccinale anti-covid-19 sera assurée par l’ONIAM [Office national d’indemnisation des accidents médicaux] au titre de la solidarité nationale (…) Cette prise en charge par la solidarité nationale n’exonère toutefois pas les professionnels de santé de toute responsabilité (…) ».


Mais, curieusement, cette fiche « Mise au point responsabilité » ne figure plus que dans le « PORTFOLIO » à destination des médecins et infirmiers. En plus, son contenu a été modifié ; désormais, elle affirme même ceci (page 42) :

« (…) Les professionnels de santé [donc seulement les médecins et infirmiers, tellement le métier premier du pharmacien semble toujours méconnu] qui participent à la campagne vaccinale, y compris en tant que libéraux, et les personnes qui concourent à l’organisation et au fonctionnement des centres de vaccination et des équipes mobiles, y compris les bénévoles, agissent pour le compte de l’Etat et bénéficient à ce titre, dans la limite de leurs compétences, de la protection fonctionnelle.

La protection fonctionnelle est assurée tant sur le plan civil que pénal, sauf en cas de faute personnelle détachable du service. [Et puis, de façon, pour le moins incompréhensible, on peut lire la suite] Dès lors, la responsabilité du professionnel ne peut être engagée par un tiers (…) ».


À notre avis, cette dernière affirmation semble inexacte. Elle pourrait donner aux professionnels de santé concernés un faux sentiment de protection contre d’éventuelles poursuites, notamment pénales. On ne comprend pas bien comment l’Etat peut empêcher une personne (ledit « tiers ») de porter plainte contre un professionnel de santé dans le cadre de cette vaccination ; celle-ci pourrait d’ailleurs s’apparenter à de la recherche biomédicale (expérimentation) qui ne respecte pas le cadre strict encadrant une telle expérimentation chez l’Homme (les essais cliniques qui sont censés précéder la commercialisation d’un médicament (vaccin)).


Ce document ministériel poursuit : « L’Etat doit couvrir les éventuels frais de justice et indemnités dues à la victime. L’administration ne peut refuser la protection fonctionnelle à un agent lorsque les conditions en sont remplies. (…) Un simple défaut d’information, de surveillance du patient, un retard, un oubli, une abstention, ou une inaction sont généralement qualifiées par les juges comme des fautes de service, et ne pourraient donc engager la responsabilité d’un professionnel de santé dans le cadre de la campagne de vaccination ».


C’est parce que la responsabilité du professionnel de santé peut être engagée en pareilles circonstances que ce professionnel a besoin de cette protection fonctionnelle. Or, ce document ministériel semble interpréter l’octroi éventuel de cette protection fonctionnelle au professionnel fautif comme étant une immunité contre toute poursuite en justice ; ce qui nous semble, pour le moins, inexact.


Par ailleurs, ce document n’aborde pas la responsabilité du médecin (qui refuse de prescrire ce vaccin) et celle de l’infirmier (qui refuse d’administrer ce produit).


Quant au pharmacien, une telle fiche « Mise au point responsabilité » ne figure même pas dans le « PORTFOLIO » qui lui est destiné.


Conclusion


Cette réflexion ne présente que quelques indices, non exhaustifs, qui pourraient répondre à la première question soulevée : non, manifestement, ladite députée, et médecin psychiatre, ne serait pas la seule à percevoir le pharmacien comme un « épicier » ; elle ne serait pas la seule à ignorer le métier premier du pharmacien : celui qui vise à protéger le public contre le mésusage des médicaments (dont les vaccins).


Mais, là, qui pourrait s’« indigner » ?


Enfin, un faisceau d’éléments pourrait relever un doute sérieux sur la validité du consentement « recueilli » auprès de certaines personnes. Ce consentement pourrait s’avérer « vicié » eu égard notamment à la « prescription » politique et médiatique de ces vaccins ; en violation de plusieurs règles dont celles régissant la publicité sur les médicaments.