La mission
principale d’un hôpital public est le soin.
À l’occasion d’une
maladie nouvellement identifiée (Covid-19), provoquée par un nouveau coronavirus
(SARS-CoV-2), les professionnels de santé sont qualifiés de « héros ». Or en réalité, ces
professionnels ne font qu’exercer leurs métiers respectifs. Ce qualificatif de « héros » nous paraît donc
incompréhensible. Par ailleurs, cet actuel printemps viral a mis en évidence l’incapacité
de l’hôpital public à gérer cette infection tout en maintenant son activité
habituelle. La Covid-19 devient la première des urgences. Les autres
pathologies, elles, auraient été reléguées à une position secondaire. Les
autres décès, même quand ils sont évitables, seraient donc plus acceptables que
ceux liés à la Covid-19.
Profitant de l’émotion
suscitée par ce contexte, pour le moins étrange et exceptionnel, chez une
population qui ne connaît pas bien le fonctionnement hospitalier, certaines
voix tentent d’imputer cette incapacité de l’hôpital à un manque de moyens. La
troupe met la pression sur l’exécutif. Or, là encore, et selon notre expérience
acquise sur le terrain durant plus de vingt ans, de nombreuses preuves,
vérifiables, démontrent que ladite incapacité hospitalière française n’est pas
due uniquement à un manque de moyens.
Citons l’exemple
suivant : un poste d’« assistant spécialiste » est vacant au
sein de la pharmacie à usage intérieur (PUI) d’un hôpital public. Ce poste est
financé. Les candidats ne manquent pas : ce type de poste est recherché
par les jeunes pharmaciens qui terminent leur formation d’interne en pharmacie.
Mais, le chef de service de cette PUI refuse de pourvoir ce poste. Dans le même
temps, la sécurisation du circuit du médicament n’est pas mise en oeuvre. Et pour
justifier cette inertie (absence de sécurisation de ce circuit), l’argument du manque de moyens est soutenu. Rappelons
que le circuit du médicament génère près de 20 000 morts par an, dont la
moitié est évitable car liée à des dysfonctionnements qui trouvent leur source notamment
dans le non-respect de la loi.
Un manque de moyens ?
Vraiment ?
Donnons un autre exemple :
comment justifier donc les moyens utilisés pour organiser la fête de la musique
dans les murs d'un hôpital ? Alors que des comptes rendus d’hospitalisation,
attendus par des médecins généralistes, sont rédigés avec des semaines de
retard par manque de temps de secrétariat médical ?
L’hôpital public
souffre, avant tout, du désordre qui règne en son sein. Il est victime de la dispersion de ses moyens. Les intérêts
catégoriels et personnels se sont substitués à l’intérêt général. Le choix des
praticiens, appelés à participer à la direction de l’hôpital, se fait en fonction
de leur aptitude à la soumission ; et non pas selon le contenu de leurs Curriculum vitae (C.V.). Les compétences
importent peu : elles font même peur. Le directeur écarte tous ceux qui sont capables de lui apporter
une contradiction utile. Le premier cercle du pouvoir ressemble à un
conglomérat de clones. Des commissions, comités, assemblées qui prolifèrent. Des
élections à la commission médicale d’établissement (CME), lorsqu’elles ne sont
pas truquées, se font en fonction du copinage : alors que la loi exige une
composition équilibrée de la CME où toutes les disciplines sont représentées,
la CME se retrouve avec plusieurs anesthésistes, nombreux urgentistes…
pendant que d’autres disciplines ne se voient attribuées aucun représentant. Les
« amis » du Maire, ou d'autres politiques, bénéficient d’une immunité
particulière. Un praticien hospitalier peut cumuler plusieurs
responsabilités durant des décennies et jusqu’à son départ à la retraite : chef
de pôle, chef de service, membre de droit de la CME, membre du directoire,
membre du conseil de surveillance, etc. Le Seigneur, d'une dimension locale, peut même léguer son « domaine »
à l’un de ses vassaux. La loi est souvent méprisée. Les organes de contrôle, de
régulation et de sanction ne répondent même pas aux alertes émises par des
praticiens hospitaliers. Pis encore, les auteurs de ces alertes sont
placardisés, humiliés, voire « psychiatrisés ». Des syndicats gangrénés
par la loi d’airain oligarchique ; et qui auraient même réussi à infiltrer certains Ordres professionnels. Etc.
Un turn-over
incessant des praticiens hospitaliers et des démissions qui n’inquiètent personne.
La conduite des projets,
pourtant validés par l’établissement lui-même, cède face à la paresse et à l’incompétence
de certains planqués. Ces derniers sont assurés de l’avancement de leurs
carrières qui se fait selon le nombre d’années effectuées, fussent-elles bien
somnolentes, et non pas selon une évaluation du travail réalisé.
Les petites mains,
elles, sont évaluées. Cette évaluation conditionne l’évolution de leur
carrière. Le directeur, aussi, est évalué ; ainsi que les directeurs
adjoints. Mais, pas les Seigneurs.
La règle devient :
plus un praticien hospitalier veut s’investir dans l’intérêt de l’établissement et du patient,
plus il risque de déranger le clan, plus il s’expose aux représailles.
Des pratiques sans intérêt supplantent des tâches fondamentales. Au sein d’un hôpital,
un site intranet, conçu pour la coordination des vigilances sanitaires, a été
approuvé par notamment la haute autorité de santé (HAS) lors des visites de
certification de cet établissement. Désormais, cet outil, apprécié par les
soignants, a été détourné vers d’autres finalités : informer sur la météo,
donner une citation d’un auteur à lire (par jour), le menu au self, etc. Il s'agit d'une décision unilatérale d’un nouveau cadre faisant fonction de directeur de communication. Une décision qui vient anéantir plusieurs années de travail.
Une communication
vers l’extérieur qui, souvent, s’apparente à de la propagande. Elle cherche à
embellir l’image de la structure au mépris de l’évidence même. La « twiplomatie »
hospitalière contribue à la désinformation et à la manipulation de l'opinion publique.
Ce qui manque à l’hôpital,
c’est surtout l’effectivité de la norme. Et donc, la sanction des comportements
individuels, déviants et récalcitrants, d’une minorité qui s’est approprié l’Institution
hospitalière, tout en asservissant la majorité des praticiens ainsi que leur
indépendance professionnelle.
Le hiatus se loge
chez les détenteurs du pouvoir médico-administratif local ; et dans cette lutte entre les pouvoirs
médical et administratif.
L’hôpital public a
besoin d’un seul et vrai « chef » capable de diriger de
façon impartiale et en se basant sur les preuves. Un arbitre au-dessus de la mêlée. Diriger n’est pas commander. Un
management par les preuves à l’image d’une médecine fondée sur les preuves. Ce
chef ne saurait concentrer tous les pouvoirs : le refus de la confusion des pouvoirs
et de la tyrannie.
Aujourd’hui, le
directeur d’un hôpital semble être le « dindon de la farce ». Il semble coincé entre
le pouvoir médical, l’Agence régionale de santé (ARS) et le Maire.
D’ailleurs, le Maire
devrait être le véritable représentant des usagers.
Actuellement, dans
l’état des choses, donner plus d’autonomie à l’hôpital public reviendrait à
encourager l’anarchie ambiante, devenue si familière.
L’hôpital public se
portait mieux à l’époque des Préfets.
La présidence du
conseil de surveillance devrait être confiée à un Magistrat de la chambre
régionale des comptes, par exemple.
Les conflits,
impliquant l’hôpital public, devraient relever du droit commun ; et non
pas de ce privilège de juridiction administrative, pourvoyeur de l’impunité des
dirigeants.
Une bonne gestion
des deniers publics n’est pas incompatible avec la qualité des soins. Les
bonnes pratiques, dénuées de tout lien ou conflit d’intérêts, génèrent des
économies substantielles.
Notre réflexion
nous conduit à dire que l’hôpital public a plutôt besoin d’un choc structurel et d’une
nouvelle approche culturelle. Ceux qui douteraient sont invités à lire nos
précédentes réflexions publiées depuis au moins 2006.
Par conséquent, à l’occasion
du futur « Ségur de la santé », nous envisageons de soumettre au Président
de la République une liste argumentée de propositions nouvelles et indépendantes.